<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’humiliation française au Sahel

2 novembre 2022

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Hommage d'Emannuel Macron aux 13 soldats français tombés dans le cadre de l'opération Barkhane, au Mali (Sahel), le 2 décembre 2019. Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA 00935387_000022
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L’humiliation française au Sahel

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Chronique de Frédéric Pons, Revue Conflits n°42 

Peut-on parler d’une défaite de la France en Afrique, au risque d’indigner ceux – dont je suis – qui aiment l’armée française, de peiner davantage les proches des 59 soldats français morts sur ce théâtre d’opérations ? Non, ce n’est pas une défaite. La France reste bien présente au Niger, au Tchad, au Burkina Faso. Même avec des effectifs réduits (environ 2 500 soldats à la fin de l’année), elle garde une réelle capacité de combat contre les groupes djihadistes.

C’est cependant une vraie humiliation, sans doute estompée par l’actualité de la guerre en Ukraine. En août, la France a dû se retirer du Mali, épicentre de sa zone d’engagement depuis 2013. En clair, les Français ont été chassés du pays, accusés de « trahison » par les autorités maliennes, jusqu’à la tribune des Nations unies. En dépit des efforts de la France (8 milliards d’euros dépensés en presque dix ans), comme des sacrifices consentis, le Mali est encore très loin de l’état final recherché qui prévoyait la reprise du contrôle du territoire, dans le cadre d’une politique de coopération régionale, sous la protection militaire française.

La magnifique chevauchée antidjihadiste de l’opération Serval (janvier 2013), les engagements de l’opération Barkhane, depuis août 2014, et les efforts de partenariat avec les armées locales avaient laissé croire à une sécurisation progressive de cette immense zone (huit fois la France). Ce fut un mirage. La méfiance s’est installée. Le sentiment antifrançais monte à peu près partout. Même au Niger et aussi au Burkina, où la situation se dégrade. « La France est devenue le bouc émissaire d’une Afrique de l’Ouest confrontée à sa propre impuissance », observe à juste titre l’ancien journaliste (Libération, Le Monde) et universitaire américain Stephen Smith. Le G5 Sahel qui regroupait cinq pays (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) pour coordonner leurs politiques de sécurité n’existe plus. Les 12 000 casques bleus déployés par l’ONU au Mali sont paralysés. Les groupes armés redoublent d’activités et poussent vers le sud.

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Les communiqués lénifiants de Paris n’y changent rien : la France a en grande partie échoué. Les milliers de militaires français qui ont servi sur ce théâtre ne cachent pas leur agacement à cette idée, tant l’échec était prévisible. Si le volet militaire de la mission a été assuré, il n’en est pas de même pour son aspect politique. Réputée pourtant familière du contexte africain, la France subit un revers géopolitique qui signe, pour beaucoup d’observateurs, son déclassement international. Impuissant comme l’avait été François Hollande, Emmanuel Macron a lui aussi été ballotté.

Les décisions tactiques ont été bonnes, mais des erreurs stratégiques ont été commises, lourdes de conséquences. Elles n’ont jamais été corrigées, malgré les signaux annonciateurs de la dégradation. Premier responsable, le Mali lui-même, incapable de prendre ses responsabilités, malgré le soutien de la France, de l’Union européenne, de l’ONU. Rien ne fut entrepris pour améliorer la gouvernance, réformer l’administration, rassembler les communautés. Ni Hollande ni Macron ne surent taper sur la table. Les succès opérationnels de Barkhane ont tenu lieu de politique, comme si la seule action militaire pouvait régler les problèmes de corruption, de misère, d’injustice.

Côté français, on relève des choix funestes, comme cet amalgame constant fait entre les vrais combattants djihadistes – à éliminer – et les rébellions touarègue ou peule, nourries de revendications politiques et culturelles différentes du strict combat islamiste – à rallier. On confondit des causes multiples dans un vocable commode, mais inopérant, « les groupes armés terroristes » censés converger dans une vaste offensive islamiste. Cet amalgame réducteur promu par des conseillers aux raisonnements courts, obnubilés par la seule promotion des « processus démocratiques », n’a pas tenu compte des réalités ethniques et culturelles profondes qui structurent profondément le Sahel. Leur approche idéologique empêcha de manœuvrer subtilement entre les groupes hostiles, et d’en ramener à la raison, par la force, la raison ou l’argent. Ce fiasco français est aussi un révélateur, cruel, de la sous-culture géo-historique africaine des nouvelles élites françaises.

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À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.
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