Iran : La fin des « réformateurs » sonne-t-elle aussi le glas de la théocratie ?

16 juillet 2021

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : In this photo released by the official website of the office of the Iranian Presidency, President Hassan Rouhani, right, and President-elect Ebrahim Raisi, who is the current judiciary chief, talk during their meeting in Tehran, Iran, Wednesday, June 23, 2021. (Iranian Presidency Office via AP)/ENO102/21174466178733/AP MANDATORY CREDIT./2106231508
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Iran : La fin des « réformateurs » sonne-t-elle aussi le glas de la théocratie ?

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Le 18 juin dernier, Ebrahim Raïssi a été élu président de la République islamique. « Élu » est un bien grand mot considérant le processus électif en Iran et le taux d’abstention record, ainsi que le nombre de suffrages non exprimés. L’ascension du « président-bourreau », comme il est désormais appelé en Iran, s’est faite au détriment de l’aile « réformatrice », dont le départ du sortant Hassan Rohani en est la résultante. Il s’agit de la fin du mirage tant mis en avant par l’Occident d’un régime prétendument capable de se réformer. Mais cet épisode peu honorable de la dictature des mollahs ne sonne-t-elle pas le glas de la théocratie ?

Une tribune de Mahan Taraj, juriste franco-iranienne qui montre qu’une opposition extérieure au régime est en train de s’organiser.

Jusqu’ici, cette théocratie était parvenue à mettre en scène un simulacre de « république » et organiser ainsi des mascarades d’élections. Pour cela, une fausse opposition entre les deux factions principales autorisées à débattre publiquement était orchestrée, dans les limites des lignes rouges du régime imposées par le Guide suprême, Ali Khameneï. La mécanique fonctionnait à tel point que certains se laissaient convaincre de l’existence d’une pluralité politique en Iran, et ce en dépit des violations flagrantes des droits humains et de la répression brutale des véritables opposants. Depuis ces dernières élections présidentielles, le doute a disparu. Le Guide suprême et le Conseil des gardiens de la Constitution ont écarté tous les candidats indésirables, de sorte qu’in fine Ebrahim Raïssi ne disposait d’aucun réel concurrent.

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« Réformateurs, conservateurs, le jeu est maintenant terminé »

Bien que la communauté internationale ait mis du temps à l’admettre, peu de choses séparaient en réalité le clan des « modérés » de celui des « conservateurs ». Le peuple iranien l’avait de son côté déjà compris depuis longtemps. Dès lors, il devenait inutile pour le Guide suprême de poursuivre ce jeu de dupes, une parodie politique ne trompant plus personne. Les émeutes qui ont ébranlé le pays en 2018, 2019 et 2020 avaient donné le ton. Les slogans des manifestants étaient clairs et tranchés. Les Iraniens ne veulent plus d’aucune des factions du régime. Ils veulent un renversement du régime, une vraie démocratie pluraliste et laïque, dans laquelle les femmes et les minorités pourraient aussi accéder aux organes décisionnels.

Un taux d’abstention jamais vu

Flairant avant les élections l’arrivée d’un tsunami d’abstention qui allait emporter la légitimité chimérique du régime, le Guide suprême avait qualifié l’abstention et le vote blanc, respectivement, de « péché » et « haram ». Ces menaces de sanctions divines furent vaines. La rupture entre le régime et le peuple est totale. Un taux officiel d’abstention de 51,8 %, cela est un record pour une « présidentielle ». Selon d’autres sources plus crédibles proches des opposants, ce taux d’abstention serait en réalité proche de 90 %.

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On observe que le régime a disposé ses pions à tous les fronts du pouvoir, à savoir le législatif, le judiciaire ainsi que l’exécutif. C’est un véritable alignement défensif de combats face au peuple. Pourquoi décider d’une stratégie aussi néfaste à la fois pour l’image interne et externe de la théocratie ? Force est de constater que le régime, face aux aspirations croissantes de liberté du peuple, se prépare tout simplement à l’insurrection. En affichant sa force répressive, il démontre en réalité sa faiblesse et son incapacité à initier un dialogue. À travers l’histoire, on constate que cette posture souvent tenue par des dictatures fragilisées ne peut entraîner que le déclin inéluctable des élites gouvernantes. En agissant de la sorte, le pouvoir iranien se retranche dans son bunker, prélude à une chute vertigineuse. Les abstentionnistes l’annonçaient déjà le 18 juin, en brandissant le slogan suivant : « Mon vote est le renversement du régime ! ».

Le Guide suprême et ses sbires savent que leurs jours à la tête de l’Iran sont désormais comptés. Ils ont démontré leur incapacité à contrôler le mécontentement de la population à plusieurs reprises. Cette semaine, les coupures d’électricité dans le pays, signes supplémentaires de l’anachronisme du régime, ont provoqué des manifestations de colère. « Avec la destruction des infrastructures du pays, les mollahs mettent la population sous pression »a réagi Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil National de la Résistance Iranienne (CNRI), avant d’ajouter : « Toute cette oppression n’a d’autre solution que le renversement du régime des mollahs ». Une opinion largement partagée par la population qui scandait ces jours-ci dans l’obscurité des villes touchées par les coupures : « À bas la dictature ! », « À bas Khamenei ! », « À bas Raïssi ! ».

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La diaspora iranienne se fait l’écho de cette voix en organisant un sommet mondial pour un Iran libre, du 10 au 12 juillet. Cet évènement prônant l’alternative démocratique et laïque du CNRI, en soutien à la riposte du peuple iranien, a rassemblé plus de 50 000 points de connexion à travers le monde. Selon les organisateurs, plus de 1 029 personnalités politiques, notamment 12 anciens premiers ministres et présidents, 70 anciens ministres d’Europe, d’Amérique du Nord, et du Moyen-Orient, 25 membres du Congrès et sénateurs américains bipartites, 30 anciens hauts responsables américains, ont lancé un appel destiné à leurs gouvernements respectifs, pour traduire en justice Raïssi ainsi que d’autres dignitaires de la dictature religieuse. Tout est désormais en place pour que l’on assiste à la fin de l’ère de la théocratie et à l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire de l’Iran et du Moyen-Orient.

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