<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Mer : la guerre des câbles

10 janvier 2023

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Atterissement du cable sous-marin de Google sur la cote francaise. //MASTAR_1.0750/2003141300/Credit:Mario FOURMY/SIPA/2003141303
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Mer : la guerre des câbles

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Zone de guerre à part entière, Nord Stream nous a rappelé l’importance des fonds marins dans un conflit, qui plus est aujourd’hui où ils sont essentiels pour la communication et les échanges via les câbles sous-marins. Ces derniers étant les enjeux principaux de cette guerre sous-marine.

Les explosions ayant endommagé les gazoducs Nord Stream ont fait sursauter le monde occidental en rendant soudainement très concret le Seabed warfare, c’est-à-dire l’ensemble des opérations se déroulant sur les fonds marins et dont les cibles sont généralement les câbles de communication (fibres optiques dédiées au trafic internet et téléphonique), d’alimentation (câbles électriques) ainsi que les systèmes d’approvisionnement des ressources naturelles (gazoducs ou oléoducs sous-marins).

Nous devons tout d’abord reconnaître qu’il ne s’agit en rien d’une nouveauté : pendant la guerre du Pacifique de 1879-1883, les forces navales chiliennes sectionnèrent le câble principal qui reliait Lima à San Francisco, privant ainsi le Pérou d’une partie de ses télécommunications mondiales et perturbant la couverture médiatique du conflit. Les Américains s’en souvinrent et coupèrent à leur tour les câbles reliant Cuba au reste du monde durant la guerre hispano-américaine de 1898. En 1914, la première action britannique, quelques heures après le déclenchement de la guerre, fut de couper les cinq câbles télégraphiques sous-marins qui reliaient l’Allemagne au monde extérieur, contraignant le Kaiser à recourir aux communications hertziennes[1]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les câbles et les stations répétitrices britanniques subirent plusieurs attaques japonaises, au point que la Royal Navy sectionna à son tour le câble reliant Saigon à Hong Kong en juillet 1945.

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Tâchons donc d’éviter toute cécité quant aux réalités physiques, toute illusion quant aux capacités de nos compétiteurs, et surtout toute paresse quant aux enseignements de l’histoire : « Avec deux mille ans d’exemples derrière nous, nous n’avons pas d’excuse, quand nous nous battons, si nous nous battons mal[2]. »

Cet événement survenu en mer Baltique rappelle une fois de plus la fragilité abyssale de nos voies d’approvisionnement maritimes, que masque de moins en moins l’opulence des rayonnages de nos supermarchés : l’échouement du porte-container Ever Given dans le canal de Suez, la crise du Covid ou l’arrêt des exportations maritimes de blé ukrainien n’étaient que des infimes avant-goûts de ce qui pourrait advenir en cas de fermeture complète d’un détroit stratégique comme Ormuz, Bab-el-Mandeb, Malacca ou Taïwan, dont les conséquences seraient autrement plus salées.

Une « économie de guerre » requiert des arrières solides, ce qui est loin d’être évident lorsque celles-ci dépendent justement de l’élément liquide… Nous redécouvrons que la résilience de nos artères énergétiques, commerciales ou numériques requiert un effort de longue haleine qui s’appuie sur des moyens navals importants et sur des opérateurs maritimes (transport, infrastructures, parapétrolier…) dont la préservation des atouts et le développement des savoir-faire sont cruciaux. Faut-il rappeler qu’un président de la République avait érigé la garantie de nos approvisionnements stratégiques au rang d’« intérêts vitaux » de la France, c’est-à-dire susceptibles de déclencher une riposte nucléaire[3] ?

Certes, la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins publiée par la France trace un chemin volontariste et adroit, mais celui-ci reste long, ardu et semé d’embûches. Au-delà des défis technologiques et financiers, le sursaut doit aussi être intellectuel : nous devons envisager les modes d’action adverses les plus troubles pour surveiller activement et défendre fermement les réseaux maritimes qui irriguent notre économie, sans illusion ni naïveté, et sans nous refuser les capacités à agir de même si cela devenait nécessaire. Il en va de la survie de nos systèmes politiques, économiques et sociaux, aussi sûrement qu’une artère obstruée peut rapidement mener à l’infarctus.

Chronique parue dans notre dernier numéro, Le retour des mercenaires, disponible en kiosque et sur notre site

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[1] Qui étaient elles-mêmes interceptées par la Grande-Bretagne ; c’est ainsi que l’Amirauté intercepta en 1917 le célèbre télégramme Zimmerman qui encouragea le Congrès américain à déclarer la guerre à l’Allemagne.

[2] T. E. Lawrence, lettre à Liddell Hart du 26 juillet 1933.

[3] Discours du président Jacques Chirac sur la politique de défense de la France, Brest, 19 janvier 2006.

À propos de l’auteur
François-Olivier Corman

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