<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’arme secrète du Parti Communiste Chinois : son réseau d’écoles du Parti

28 février 2025

Temps de lecture : 9 minutes

Photo : Ecole du Parti - Chine

Abonnement Conflits

L’arme secrète du Parti Communiste Chinois : son réseau d’écoles du Parti

par

L’École du Parti Communiste Chinois est le centre de formation des élites dirigeantes. En plus de la transmission des connaissances à jour et du partage des expériences, le renforcement de la cohésion fait partie intégrante du programme. Par ailleurs, elle joue également un rôle clé en tant que thinktank interne du PCC, en favorisant les débats stratégiques et en servant de modèle, notamment auprès de ses partenaires africains

Note de la rédaction : L’École du Parti communiste chinois joue un rôle clef dans la formation des cadres dirigeants du Parti, dans la conservation et la transmission de la pensée maoïste. Le but de cet article est de faire connaitre l’existence de cette école aux lecteurs de Conflits, car celle-ci est souvent ignorée, et d’expliquer son fonctionnement et ses programmes afin que les lecteurs puissent comprendre comment sont formés les cadres du PCC, et donc comment fonctionne la Chine aujourd’hui.

L’un des instruments les plus stratégiques du Parti communiste chinois (PCC) est son vaste réseau national d’écoles du Parti, qui en compte environ 2 700[1]. Placées directement sous l’autorité du Comité central du PCC, ces écoles ont pour mission principale de former les cadres dirigeants d’un Parti rassemblant aujourd’hui 100 millions de membres[2]. Au-delà de leur rôle pédagogique, elles – et plus particulièrement l’École centrale du Parti à Pékin – constituent également un moteur clé dans l’élaboration des initiatives politiques.

Fondation et premiers développements

L’École centrale a été fondée en 1933 dans le Jiangxi (Ruijin) et dans le cadre de la République soviétique chinoise, créée sous la direction de Mao Zedong. Son objectif principal était d’éduquer les membres du Parti sur le marxisme-léninisme, la stratégie révolutionnaire contre le Parti des nationalistes (KMT) et les principes organisationnels. Son slogan est 实事求是 (Shí shì qiú shì : Rechercher la vérité à partir des faits).

Après la Longue Marche (1934-1935), l’école a été relocalisée à Yan’an, dans la province de Shaanxi, qui était devenu la nouvelle base de pouvoir du Parti communiste. À Yan’an, l’école est devenue un centre clé pour la diffusion de la pensée maoïste, formant des cadres qui joueraient des rôles importants dans la révolution chinoise.

Période maoïste et la consolidation du PCC

Dans les années 1940, l’École centrale est devenue un pilier du système du PCC, dans la promotion de la Pensée de Mao Zedong et l’établissement d’un consensus au sein du Parti.

Pendant cette période, elle a formé des dirigeants qui ont participé à la prise du pouvoir en 1949. Le programme incluait une combinaison d’études marxistes-léninistes, d’entraînement militaire et d’analyses politiques.

À lire aussi : 20ᵉ Congrès du PCC : un Xi Jinping plus puissant que jamais à la tête d’une Chine fragilisée

Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, l’École centrale a continué à jouer un rôle crucial dans la formation des cadres pour le gouvernement et le Parti. Elle s’est principalement installée à Pékin, où elle demeure aujourd’hui. Les branches locales ont été mises en place dans chaque ville importante, notamment au niveau de la ville capitale des provinces.

Révolutions culturelles et bouleversements

L’École centrale a connu des interruptions pendant des périodes troublées, notamment pendant la Révolution culturelle (1966-1976). Durant cette période, l’accent sur l’enseignement et la formation a été éclipsé par des luttes internes au sein du Parti et des purges idéologiques. La Révolution culturelle a désorganisé les structures institutionnelles et l’école a temporairement cessé ses activités.

Réforme et ouverture (post-1978)

Après 1978, sous la direction de Deng Xiaoping, l’École centrale a été réorganisée pour répondre aux besoins d’une Chine en transition économique et politique. Son rôle a évolué pour inclure une formation plus large sur les questions économiques, administratives et géopolitiques, tout en maintenant un enseignement idéologique.

La nouvelle priorité est de préparer les cadres du Parti aux défis de la modernisation économique de la Chine. L’École a joué un rôle important dans la campagne d’émancipation pour aligner les cadres dirigeants du Parti sur la politique de réforme et d’ouverture de Deng Xiaoping. Des sujets tels que la gestion, les sciences économiques et le droit ont été intégrés aux programmes.

Époque contemporaine : les populations formées et les programmes

Aujourd’hui, l’École centrale du Parti est une institution clé du système politique chinois. Elle forme les hauts responsables et les cadres montants du Parti communiste chinois, les préparant à des fonctions de leadership à l’échelle nationale.

À lire aussi : Xi Jinping, le nouvel empereur de la Chine communiste

Les stagiaires

L’École du Parti Central forme différents profils de cadres : dirigeants au niveau provincial ministériel et département-bureau, jeunes cadres et cadres d’âge moyen, membres issus des minorités ethniques, dirigeants des grandes entreprises publiques et universités d’État, secrétaires de comté du PCC, fonctionnaires de Hong Kong et Macao.

En plus de son rôle pédagogique, l’institution organise des séminaires sur les enjeux idéologiques, politiques et géopolitiques. Elle emploie également des professeurs chargés de fournir des services de recherche et de conseil à la direction centrale du PCC. Certains conférenciers étrangers ont été invités à partager leur expertise.

Une classe spéciale

Elle est dédiée aux cadres âgés de 45 à 50 ans, pressentis pour devenir la future élite gouvernementale. Ce programme dure un an. Premiers mois consacrés aux bases idéologiques, avec l’étude d’ouvrages tels que Le Capital de Karl Marx ou Anti-Dühring de Friedrich Engels. Ensuite, les enseignements portent sur des aspects pratiques : système législatif, élaboration budgétaire, contrôle des finances, politique étrangère, management, gestion des ressources humaines, lutte contre la corruption et résolution des conflits.

Par ailleurs, elle supervise les écoles du Parti à l’échelle locale, en encadrant leur fonctionnement, leur personnel et leurs ressources pédagogiques.

L’École du Parti Central publie le Study Times (学习时报, Xuéxí Shíbào), qui éclaire les relations entre les directives du Comité central du PCC et leur fondement théorique et idéologique.

Les programmes

Examinons les cours proposés par l’École centrale du Parti (Académie nationale d’administration)[3] afin de voir comment PCC s’adapte aux nouveaux défis.

Cours d’éducation théorique

Les principaux modules comprennent : Marxisme-léninisme, Pensée de Mao Zedong et système théorique du socialisme aux caractéristiques chinoises, et Pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère ainsi que la théorie des « Trois Représentations[4] »

Cours d’éducation à la moralité du Parti

Ces cours portent sur la Constitution et la discipline du Parti, l’éducation aux idéaux et aux convictions, les principes fondamentaux du Parti, l’histoire du Parti et de la nation, les traditions révolutionnaires, l’éthique et la morale, la pensée juridique, ainsi que la lutte contre la corruption et la promotion de l’intégrité.

Cours sur « Le monde contemporain »

Ils couvrent des thématiques comme Économie mondiale contemporaine, Politique mondiale contemporaine, Science et technologie contemporaines, État de droit dans le monde contemporain, Questions militaires contemporaines, Courants de pensée contemporains, et Religions et ethnies dans le monde contemporain. Ces enseignements visent à informer sur les évolutions récentes dans divers domaines et à élargir la vision internationale des apprenants.

Rapports sur « Situation et missions »

Ces sessions sont conçues en fonction des décisions stratégiques majeures du Comité central du Parti et du Conseil des affaires d’État, ainsi que des enjeux nationaux et internationaux actuels. Des dirigeants du Parti et de l’État ainsi que de hauts responsables des organes centraux sont invités à intervenir afin d’aider les participants à mieux comprendre les défis et missions du développement économique et social chinois, renforçant ainsi leur engagement à mettre en œuvre les politiques du Parti.

À lire aussi : Les ingénieurs de l’âme : l’idéologie communiste dans la Chine de Xi Jinping

Cours de formation aux compétences

Un module intitulé Renforcement des capacités de gouvernance aborde le développement des compétences en pensée stratégique, administration selon la loi, prise de décision, orientation de l’opinion publique, gestion de crise, leadership politique et innovation en matière de réforme. Ces enseignements visent à améliorer l’adaptabilité des cadres aux exigences du développement du socialisme à la chinoise dans la nouvelle ère.

Cours de formation aux connaissances

Des conférences sont proposées sur l’économie, la politique, la culture, la société, la civilisation écologique, l’histoire, les ethnies, les religions et les arts. Elles visent à enrichir la culture scientifique et humaniste des participants et à renforcer leur polyvalence.

On constate clairement que le programme ne se limite pas aux cours idéologiques, mais englobe en quantité considérable les compétences essentielles requises pour la modernisation du pays.

Influence et rôle stratégique

L’École centrale du Parti reste un outil stratégique pour maintenir l’autorité et l’unité du PCC. En centralisant la formation, elle agit comme un levier pour diffuser les orientations politiques du Comité central et maintenir la cohérence au sein du Parti.

En autre, l’École centrale à Pékin joue également le rôle de thinktank – conseiller interne du PCC, au travers des discussions au sein de l’établissement. Par exemple, en 2008, L’Ecole a publié un plan de réforme politique, incluant la liberté de la presse[5]. Très récemment, des séminaires ont été lancés visant à approfondir le partage des connaissances entre les chercheurs et les membres du Comité permanent du Politburo du Parti communiste chinois[6].

Relation avec l’Afrique

L’École centrale du Parti communiste chinois (PCC) joue également un rôle indirect, mais significatif dans la politique étrangère de la Chine, par le biais de programmes de formation et celui de partage d’expérience de gouvernance. Le PCC fournit depuis des années une formation aux partis politiques étrangers, non seulement en Afrique, mais aussi en Amérique latine, en Asie du Sud-Est et dans d’autres régions.

L’École centrale est devenue un modèle pour certains pays africains, intéressés par l’approche chinoise en matière de gouvernance, de planification stratégique et de développement économique. À travers des échanges éducatifs et politiques, elle contribue au « soft power » chinois sur le continent.

Bien que ces programmes ne se déroulent pas directement à l’École centrale, des institutions chinoises affiliées s’inspirent de ses méthodologies pour former des responsables politiques et administratifs africains. Ces formations incluent des modules sur le développement économique, la planification à long terme, et l’organisation politique, souvent centrés sur l’expérience chinoise en matière de lutte contre la pauvreté et de croissance rapide.

L’École centrale promeut une vision spécifique de la gouvernance qui combine la centralisation du pouvoir, la discipline politique, et la mise en œuvre rapide des politiques publiques. Cette approche trouve un écho auprès de certains pays africains qui cherchent à équilibrer stabilité politique et développement économique.

Formation de leaders africains en Chine

Depuis les années 2000, dans le cadre du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), la Chine organise des séminaires et programmes de formation pour des milliers de responsables africains au travers des cours sur la gestion administrative et politique, des modules sur les politiques économiques et industrielles et des études sur les mécanismes de gouvernance chinois.

À lire aussi : La Chine en Afrique

L’objectif est de renforcer les liens politiques, d’offrir une vision alternative à la gouvernance occidentale et de former une élite africaine favorable à une coopération étroite avec la Chine.

Inspiration pour des écoles africaines

Certains pays africains, inspirés par l’expérience chinoise, ont envisagé la création d’institutions similaires à l’École centrale pour former leurs propres dirigeants.

Par exemple, l’Angola a collaboré avec la Chine pour mettre en place des programmes de formation pour ses cadres dans un style similaire à celui de l’École centrale. L’Éthiopie, un partenaire clé de la Chine en Afrique, a adopté certains éléments du modèle chinois dans son système de formation pour les membres du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE).

Une relation en expansion

Malgré certains critiques rencontrés, la coopération éducative et politique entre l’École centrale du Parti (et les institutions associées) et l’Afrique continue de s’élargir. Cela reflète la stratégie globale de la Chine : renforcer ses relations avec l’Afrique en combinant diplomatie économique, culturelle et politique.

L’École du Parti Central a créé et dirige l’École de Leadership Mwalimu Julius Nyerere, qui a ouvert en février 2022 en Tanzanie. L’école a été conjointement fondée avec le soutien des six partis au pouvoir en Tanzanie, en Afrique du Sud, au Mozambique, en Angola, en Namibie et au Zimbabwe[7]  [8].

Ces initiatives contribuent à créer une élite africaine familiarisée avec les approches chinoises et susceptible de les appliquer dans leurs pays respectifs. L’éducation et la formation deviennent un pilier clé des relations entre la Chine et l’Afrique.

Bien que l’École centrale ne s’engage pas directement en Afrique, son influence est palpable à travers la formation de cadres, l’exportation de son modèle, et l’inspiration qu’elle offre aux gouvernements africains. Cela s’inscrit dans une stratégie globale de la Chine pour approfondir ses relations avec le continent, tout en promouvant son approche unique de la gouvernance et du développement.

Conclusion

L’École du Parti a joué un rôle crucial dans l’histoire et l’évolution du PCC[9], au fil des décennies, pour répondre aux besoins du Parti, en formant les élites dirigeantes, notamment pendant la réémergence de la Chine.

À lire aussi : Les intérêts de la Chine dans l’Himalaya

LI Junru, ancien président de l’École du Parti, résume bien son importance : « Dans un pays comptant une population aussi nombreuse et un si grand nombre de membres du Parti, le PCC a su maintenir son unité et mener des actions efficaces. Son ‘arme secrète’ réside dans le système bien structuré des écoles du Parti à travers tout le pays[10]. »

[1] David Shambaugh, Training China’s Political Elite: The Party School System, The China Quarterly

No. 196 (Dec., 2008), pp. 827-844 (18 pages) Published By: Cambridge University Press

[2] Qui sont les 100 millions de membres du Parti communiste chinois ? Le Grand Continent, Nov 2, 2022.

[3] 有关中央党校这些“知识点”你了解吗?新华社 (七一客户端) (Connaissez-vous ces « points de connaissance » sur l’École centrale du Parti ? Agence de presse Xinhua, https://m.12371.gov.cn/content/2023-03/02/content_431230.html), 2023-03-02

[4] Les Trois Représentations est une politique explicitant les trois catégories que le PCC se doit de représenter : les « forces productives progressistes », la culture chinoise moderne et les « intérêts fondamentaux de la majorité de la population » chinoise. Les Trois Représentations sont interprétées comme un moyen pour le PCC d’intégrer les élites économiques issues de la libéralisation de 1978 dans l’appareil du PCC (Cf. Wikipedia « Les Trois Représentation »).

[5] Buckley, Chris; Bradsher, Keith (July 4, 2021). « ‘Red Cradles’ Nurture China’s Next Generation of Communist Leaders », The New York Times, July 29, 2022.

[6] Chinese Communist Party broadens closed-door brainstorming sessions, Intelligence online, 30 jan 2025.

[7] Raphael Chan, Political training under the Belt and Road Initiative: A look at the Chinese Communist Party’s first Party School in Africa, Foreign Policy Research Institute, August 29, 2022.

[8] Paul Nantulya, La première école politique de la Chine en Afrique, 28 novembre 2023

[9] He Yiting, Xia Hailin, Wang Qin, Wang Zhiguang, The Central Party School and the Success of the Communist Party of China, 10/2018

[10] China Governance: How CPC’s party school system cultivates leaders, Beijing Administration Institute, 2024 · 07 · 21

Mots-clefs : ,

À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

Voir aussi

Le Liban face à la loi géopolitique du différentiel

L'histoire récente du Liban ne peut se comprendre en omettant les évolutions démographiques du pays. La répartition politique reposant sur un partage communautaire, toute évolution démographique a des conséquences politiques majeures. Article paru dans le no56 - Trump renverse la...

L’Arménie et l’Azerbaïdjan concluent un accord de paix

Arménie et Azerbaïdjan se sont entendus sur un traité visant à mettre un terme à la guerre qui sévit entre les deux pays. Un accord qui suscite de l’espoir et des incompréhensions. Le 13 mars 2025, les ministères des Affaires étrangères de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ont déclaré...