Livre : La DST sur le front de la Guerre froide

30 janvier 2023

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : 11/19/1985 President Reagan and Soviet General Secretary Gorbachev at the first Summit in Geneva Switzerland
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Livre : La DST sur le front de la Guerre froide

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Un ouvrage qui retrace les aventures de la DST durant la Guerre Froide. Une analyse éclairante pour qui s’intéresse au renseignement et à cette période d’espionnage et de subversion politique : La DST sur le front de la Guerre froide de Raymond Nart, Michel Guérin et Jean-François Clair (Mareuil édition). 

Avant sa fusion en 2008 avec les Renseignements généraux (RG) pour former la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – elle-même devenue en 2014 la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) – la Direction de la Surveillance du territoire (DST), fut en charge, pendant plus d’un demi-siècle, au sein du ministère de l’Intérieur, du contre-espionnage, de la lutte antiterroriste et de la protection du patrimoine technologique français.

Dans La DST sur le front de la Guerre froide[1], trois anciens hauts responsables de la DST : Raymond Nart et Jean-François Clair, qui en furent tous deux directeurs adjoints, respectivement de 1976 à 1998 et de 1997 à 20072, et Michel Guérin, auteur d’un Dictionnaire renseigné de l’espionnage de Sun Tzu à James Bond[2], qui y occupa les fonctions de sous-directeur des services techniques, du contre-terrorisme et du monde arabe et musulman[3], nous remémorent les grandes affaires d’espionnage soviétique qui ponctuèrent, sur le territoire français, la période trépidante de la Guerre froide et de l’ancien monde bipolaire. La DST était alors chargée de riposter aux menaces étrangères, notamment soviétiques. Pour les soviétologues et pour les spécialistes de la Russie, le regard de ces trois auteurs, astreints au silence et au secret pendant des décennies, apporte une contribution intéressante à l’analyse d’événements qui se sont déroulés dans l’ombre, tels que l’affaire Farewell[4]. Il s’agit de la plus grande affaire réalisée par le contre-espionnage français avec le recrutement de l’agent du KGB Vladimir Vetrov. Ce dernier livra plus de 3000 documents secrets à la DST entre 1981 et 1982. Débusqué et condamné à mort par les Soviétiques, il fut exécuté en 1984[5].

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La question primordiale des archives

Pourtant, comme le rappellent les auteurs, dès le début, lors de sa création en 1944 à la suite d’une ordonnance du général de Gaulle, la DST s’est retrouvée dans une situation de handicap tout à fait inédite, car elle était privée d’archives, donc sans mémoire pour mener son action, qu’elle calquait sur celle du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) de la France libre, cet organisme qui avait été chargé de collecter du renseignement et de mener des actions clandestines pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, les auteurs évoquent « la disparition de la quasi-totalité des archives de la police, de toute la police »[6] ! « De fait, cette situation aura des conséquences incalculables, ajoutent-ils : « Rien sur l’entre-deux guerres, aucun fichier d’étrangers, aucun renseignement sur l’activité soviéto-communiste ».

Autre obstacle, et non des moindres pour la DST, les services soviétiques ayant récupéré les archives allemandes, il leur était aisé d’instrumentaliser par le chantage d’anciens collaborateurs français du régime nazi[7].

Aujourd’hui, plus de trente ans après la chute du mur de Berlin, resurgit la question de l’ouverture des archives portant sur la Guerre froide. En Allemagne, les archives de la police politique est-allemande ont été ouvertes dès 1989. En ce qui concerne le KGB[8], des milliers de documents confidentiels exfiltrés de Russie par l’archiviste du KGB Vassili Mitrokhine, sont devenus consultables dès les années 1990[9]. Dans les pays occidentaux, grands vainqueurs de la Guerre froide, la question des archives de cette période demeure controversée.

La vulnérabilité des sociétés occidentales

Nos trois auteurs déplorent en filigrane tout au long de leur ouvrage, le manque de sensibilisation des Occidentaux aux risques d’ingérences étrangères et ce, en particulier parmi les couches de la société les plus intéressantes pour les services de renseignement étrangers à savoir, les politiques, les diplomates, les scientifiques et les chercheurs. « La classe politique française a eu ainsi dans ses rangs quelques agents soviétiques patentés », indiquent-ils[10]. En témoigne l’affaire Charles Hernu, ministre de la Défense de François Mitterrand de 1981 à 1985 : « Il est désormais établi de manière certaine que Charles Hernu a été pendant une partie de sa carrière politique un agent de trois services du bloc de l’Est »[11].

Cette triste réalité nous interroge sur la dichotomie entre le traitement drastique, en matière de contre-espionnage, réservé d’une part (notamment pour la délivrance des habilitations de sécurité) aux civils de la Défense et de l’Intérieur, dont les dossiers sont méticuleusement examinés par la DGSI, ainsi qu’aux militaires soumis à la vigilance de la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (la DRSD, anciennement appelée DPSD) et, d’autre part, à la relative indulgence de nos responsables politiques vis-à-vis du monde politique, souvent au mépris des avertissements des services de renseignement. Au plus haut niveau de l’Etat, des hommes et femmes politiques sont laissés libres de frayer à l’international avec les accointances de leur choix, par exemple à travers les différents groupes d’amitié parlementaires avec des pays étrangers tels que la Chine ou le Qatar. A noter également que, sur fond d’affaires de corruption, les institutions européennes sont le maillon faible des tentatives d’entrisme de puissances étrangères au sein des pays de l’UE.

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Un monde de plus en plus dangereux

De la lecture de cet ouvrage transparaît l’idée que la période de la Guerre froide, en dépit de la prégnance de la menace d’apocalypse nucléaire, avait le mérite de la constance car l’adversaire à combattre était clairement identifié. Les défis étaient immenses eu égard au risque de basculement soudain des équilibres géostratégiques. Ils sont tout aussi immenses aujourd’hui, mais il semble plus difficile de distinguer qui sont les véritables ennemis dans ce monde nouveau, où prolifèrent plus que jamais les faux-amis et les faux-semblants.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, une quarantaine d’agents russes sous couverture diplomatique ont été expulsés du territoire français[12]. Certaines méthodes de recrutement des services de renseignement russes, notamment par le biais des réseaux sociaux, ont récemment défrayé la chronique. Dans ce contexte trouble et angoissant, il est prévisible que l’escalade vertigineuse des tensions sur la scène internationale est annonciatrice d’une intensification générale de l’espionnage.

[1] Jean-François Clair ; Michel Guérin ; Raymond Nart : La DST sur le front de la Guerre froide, Paris, Mareuil éditions, 2022.

[2] Mareuil éditions, 2020.

[3] https://www.revueconflits.com/podcast-la-dst-renseignement-et-contre-espionnage-michel-guerin/ et également : https://www.revueconflits.com/livres-de-la-semaine-9-decembre/

[4] Raymond Nart ; Jacky Debain : L’affaire Farewell vue de l’intérieur, Paris, Nouveau monde, 2013.

[5] https://www.lepoint.fr/politique/les-archives-secretes-de-l-affaire-farewell-17-09-2009-379898_20.php

[6] p.16

[7] A cet égard, en 2015, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, un décret présidentiel annonça l’ouverture anticipée des archives françaises de la période de l’Occupation.

[8] https://www.archimag.com/archives-patrimoine/2014/07/08/archives-secretes-mitrokhin-kgb-consultables

[9] Christopher Andrew ; Vassili Mitrokhine : Le KGB contre l’Ouest, Paris, Fayard, 2000.

[10] p.127

[11] p.128

[12] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/14/guerre-en-ukraine-la-france-multiplie-les-expulsions-d-espions-russes_6122137_3210.html

À propos de l’auteur
Ana Pouvreau

Ana Pouvreau

Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.
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