Que nous révèle la crise en Ukraine quant à l’OTAN ?

27 janvier 2024

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Photo : Voldymyr Zelensky au sommet de Vilnius, juillet 2023. Credit:Jacques Witt/SIPA/2307121719
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Que nous révèle la crise en Ukraine quant à l’OTAN ?

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La guerre en Ukraine a remis l’OTAN sur le devant de la scène européenne. Mais les débats demeurent vifs en Europe et aux Etats-Unis quant à la nature de l’Organisation et quant à son rôle en Europe. La guerre en Ukraine joue le rôle de révélateur du rôle de l’OTAN.

John Mearsheimer, célèbre analyste du courant réaliste des relations internationales, affirme que l’Occident, au travers de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (l’OTAN), est en partie responsable de la guerre dévastant l’Ukraine. À ceux qui dénoncent l’« impérialisme russe », l’analyste américain répond que cette réalité violente résulte d’une « politique de grandes puissances »[1]. N’est-ce pas Otto Von Bismarck qui disait « la diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments » ? Tandis que l’Union européenne mobilise 83 milliards d’euros[2] et que les États-Unis d’Amérique frôlent les 80 milliards de dollars d’aide versés à l’Ukraine depuis 2022, penchons-nous sur la réponse que l’OTAN apporte à cette guerre de « haute intensité » se déroulant aux portes de l’Alliance. Face au débat relatif à sa responsabilité dans le conflit et face à l’imaginaire d’une organisation toute puissante et capable de tout, il est des a priori qu’il convient de déconstruire. Ainsi, ce papier tentera de démontrer qu’en dépit de sa puissance militaire réelle, cette alliance défensive (cf. Art 5 du Traité de l’Atlantique Nord) agit dans le cadre de ses compétences définies dans le Traité du 4 avril 1949. Même si l’OTAN est sortie de son « état de mort cérébrale »[3] depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie, ses actions demeurent limitées car elles relèvent des décisions prises par l’ensemble des États-membres, lesquels ne sont pas toujours sur la même ligne.

Ainsi, au travers de ce papier, nous essayerons de comprendre en quoi la gestion otanienne de la crise en Ukraine, pays non membre de l’Alliance, reflète les fondements mêmes du Traité de Washington et illustre les réelles compétences de l’Alliance. Premièrement, nous verrons ce qui fonde juridiquement et idéologiquement l’OTAN afin d’être en mesure d’analyser ses actions militaires et politiques face à la guerre russo-ukrainienne ; après quoi nous analyserons lesdites actions, i.e. comment l’Alliance a agi dans le cadre de ses prérogatives pour soutenir l’Ukraine depuis 2014. Enfin, nous évoquerons ses limites intrinsèques à son caractère multinational lesquelles contraignent in fine son efficacité.

Les fondements idéologiques et juridiques sur lesquels repose l’OTAN 

Olivier Schmitt et Sten Rynning définissent une alliance comme une « association formelle ou informelle d’États s’arrangeant sur les conditions d’usage de la force (ou de menace d’usage de la force) contre des acteurs extérieurs à l’association »[4]. Pourtant, les compétences de l’OTAN nous paraissent bien plus larges que cela. Alors, qu’est-ce que l’OTAN ?

Sans doute devrions-nous compléter les propos d’O. Schmitt et S. Rynning par la définition d’une « confédération » fournie par le dictionnaire Littré. L’OTAN ne ressemblerait-il pas à « une union d’intérêt et d’appui entre […] États pour faire ensemble cause commune [impliquant] la défense réciproque »[5] ? Ainsi, dès le préambule du traité otanien, les valeurs fondamentales communes sont définies et reposent « sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit ». C’est sur ces fondements que ses membres créateurs « s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacun […] »[6]. Ainsi, en opposition au communisme collectiviste du bloc soviétique, ses membres inscrivirent leurs principes libéraux dans l’Article 2. À cet idéal subsistait des exceptions : l’Estado Novo portugais, dictature souverainiste en 1949, mais demeuré neutre durant la seconde guerre mondiale et allié historique de l’Angleterre, ainsi que la Turquie, nécessaire allié dans le cadre de la Guerre froide en 1952. Alors, quel rapport entre l’OTAN et la Démocratie ukrainienne imparfaite, voire oligarque ? Fidèle à ces principes énoncés et dans l’optique d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine, l’Alliance attend des réformes politiques, judiciaires et économiques, notamment face à la corruption, réformes définies par le Plan d’action pour l’adhésion (MAP) élaboré au sommet de Bucarest de 2008. Aujourd’hui, les progrès effectués sont régulièrement évalués dans le cadre du « Programme national annuel ». De plus, le site officiel de l’OTAN affirme que les Ukrainiens défendent « nos valeurs communes » en plus de défendre leur pays rappelant la logique de confrontation énoncée par V. Poutine lors de son discours à la Nation (russe) du 21 février dernier[7]. Ce dernier y dénonça d’ailleurs la « perversion [et] l’abus d’enfants » des occidentaux. Est-ce une critique contre le « Comité atlantique pour l’éducation » lequel se préoccupe « de la façon dont l’Organisation alliée est évoquée dans les manuels scolaires » ?

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Soucieux de la légitimité juridique des actions conduites, les États membres rappellent dans le préambule du traité leur attachement à la Charte des Nations Unies. Ils s’engagent ainsi à « régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux » (Cf. Art. 1 du Traité de Washington) faisant écho à l’Article 33-38 de la Charte de l’ONU : c’est d’ailleurs ce qui fut tenté au travers du protocole de Minsk de 2014 visant à mettre fin à la guerre dans le Donbass. De plus, les interventions militaires d’envergure de l’OTAN (Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Afghanistan, Libye…) furent conduites en s’appuyant sur des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, même si les bombardements sur la Serbie (1999) et l’intervention en Libye (2011) furent fondés sur des interprétations juridiques sujettes à controverses et aux critiques. C’est donc sur l’Article 51 de la Charte onusienne stipulant le droit d’un État à la légitime défense que l’OTAN justifie, aux yeux du droit international, son soutien à l’Ukraine. Afin que la « guerre préventive » que la Russie dit mener fût légale, il eût fallu une résolution du Conseil de sécurité, outil grippé lorsqu’il s’agit des intérêts des nations y siégeant. Cependant, n’est-ce pas Bismark qui disait que « la force prime le droit » ?

Bien que les traités soient une des trois sources du Droit international, celui de Washington conditionnant l’existence de l’OTAN ne comporte aucune clause juridiquement contraignante, à l’exception de l’interdiction de la ratification de traités entrant « en contradiction avec les dispositions du présent Traité ». En particulier, l’Article 5, pilier de cette alliance défensive, offre à chaque État-membre le choix souverain d’« […] action qu’[il] jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée » laissant à chacun une marge d’appréciation. A contrario, l’OTAN est intervenue en Afghanistan (l’Organisation prit le commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité en 2003, lancée en 2001 par certains États membres), ce qui correspond à une interprétation belliqueuse de cet article, les États-Unis ayant été attaqués sur leur sol lors des attentats du 11 septembre 2001. Cependant, nous pouvons nous demander jusqu’où irait cette logique si la Russie, dotée de l’arme nucléaire, attaquait un État membre sachant que jusqu’à présent l’OTAN n’est intervenue que contre des pays non dotés.

Actions de l’OTAN face à la crise ukrainienne : les États membres à l’initiative[8]

Ainsi, l’OTAN est bien plus qu’une alliance défensive : c’est un idéal vers lequel ses membres tendent. Cependant, l’idéal des uns n’étant pas celui des autres, les Nations dotées d’une armée puissante souhaitent rester souveraines dans leurs stratégies. Ces dernières conditionnant la posture de chaque membre face à la guerre à l’Est, conditionnent par conséquent celle de l’Alliance comme entité.

Dès 2014, les membres de l’OTAN soutinrent la modernisation de l’armée ukrainienne en lui vendant du matériel, en grande majorité américain, et en formant ses soldats. Même si cette aide est coordonnée entre États, l’initiative est propre à chacun. Cependant, les STANAG otaniens (Standardisation Agreement) y sont appliqués afin d’homogénéiser les formations. Ces STANAG regroupent différents documents doctrinaux pour agir dans les 4 milieux (air, terre, mer et espace) avec un souci d’interopérabilité entre nations et avec la volonté de disposer d’un corpus doctrinal commun. Il convient néanmoins de noter que la doctrine n’est pas un carcan : elle est adaptable à chaque engagement opérationnel et ne couvre pas toutes les situations. Chaque nation peut donc décider de l’appliquer en totalité, partiellement ou pas du tout. De plus, l’Ukraine participa à des exercices de l’OTAN en tant qu’« État partenaire » [9](« relation de dialogue et de coopération sur des questions politiques et de sécurité entre l’Alliance et d’autres pays non-membres »). Face aux craintes des Nations du flanc Est de l’Alliance, fut créée en 2014 la « Force opérationnelle interarmées à très au haut niveau de préparation (VJTF) », une Force de réaction rapide sous commandement unifié et tournant (France en 2022). Il s’agit d’une « force fer de lance » intégrée à la préexistante Force de réaction de l’OTAN (NRF) elle-même force multinationale de 40 000 soldats.[10] Il ne s’agit pas d’une force armée sous bannière unique comme le sont les « casques bleus » de l’ONU mais d’un contingent militaire qui dépend des contributions des membres selon les capacités dont ils disposent et leur objectif politique d’affirmation de puissance au sein de l’Alliance. Ce processus est appelé « génération de forces ».

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Dès février 2022, à l’invocation de l’Article 4 (demande de consultation de la part d’un État-membre si « l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des Parties [est] menacée »), les dirigeants se réunirent en visioconférence et activèrent, pour la première fois de son histoire, ladite VJTF en déployant en quelques jours des milliers de soldats à l’Est afin d’adopter une posture dissuasive sur le flanc oriental de l’Alliance. Ainsi, des effectifs additionnels furent envoyés par les États membres dans les quatre bataillons terrestres multinationaux déjà présents en Pologne et dans les pays baltes en plus de renforcer les effectifs aériens des missions de « police du ciel »[11] pour sécuriser l’espace aérien de ces mêmes pays. Ces bataillons présents depuis des années sont le résultat d’initiatives de pays membres qui décident la création d’une mission en collaboration avec les pays hôtes.

Juridiquement et militairement, ce sont les « règles d’emploi de la force » décidées entre le pays hôte et la nation-cadre (c’est-à-dire celle qui dirige la mission et fournit l’essentiel du matériel, des effectifs humains et de la structure de commandement de niveau tactique) qui encadrent le rôle et la responsabilité de chacun[12] que ce soit pour les missions de « police du ciel » ou les bataillons multinationaux. D’ailleurs, dans le cadre du déploiement de la VJTF, la France initia une mission en tant que nation-cadre en Roumanie dans le but de soutenir cet État membre face à la possible menace russe. Au demeurant, chaque déploiement de force est approuvé par le Conseil de l’OTAN (organe de décision politique et opérationnelle où siègent les membres) par consensus (i.e. prise d’un commun accord, aucune nation ne s’étant opposée), puis planifié par l’Alliance au travers de son Commandement allié Opérations (ACO) et commandé au niveau stratégique par le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), la tactique étant gérée par les nations impliquées. L’Alliance est également engagée diplomatiquement face à cette guerre avec notamment la tenue, le 24 mars 2022, d’un sommet extraordinaire de l’OTAN à Bruxelles ayant permis de rédiger une déclaration conjointe demandant à la Russie de suspendre immédiatement ses opérations militaires[13].

En matière de renseignement militaire et selon Gérald Arboit, directeur de l’équipe Études de renseignement au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), l’Organisation serait engagée auprès de l’Ukraine grâce à ses deux seules unités dite « flaguées », sous bannière unique otanienne : l’unité d’avions AWACS, systèmes volants de stations radar, et l’unité AGS (Alliance Ground Surveillance) équipée de drones RQ-4D Pheonix volant à très haute altitude. Les aéronefs de ces deux unités survolent l’espace aérien roumain et la mer Noire pour collecter du renseignement sur le front ukrainien.[14] Ne souhaitant pas entrer dans le conflit, l’Alliance veille néanmoins à la coordination entre ses membres et l’Ukraine via notamment le « Conseil OTAN-Ukraine » créé en octobre 2023 (le Conseil de l’OTAN, unique organe instauré par le Traité, est le seul à pouvoir créer des entités subsidiaires). Cette nouvelle entité permet d’identifier efficacement les besoins militaires et humanitaires ukrainiens auxquels les membres peuvent décider de subvenir. De nombreux États-membres envoient des armes et du matériel de guerre à l’Ukraine. Cette aide militaire est coordonnée au travers du « groupe de contact de Ramstein » (Ukraine Defense Contact Group – UDCG), un groupe de 54 États créé et chapeauté par les États-Unis, au sein duquel la totalité des États-membres de l’OTAN sont impliqués. Pour sa part, l’OTAN ne fournit rien à l’Ukraine ne possédant pas de matériel propre hormis les avions et drones précités. Bien que l’UDCG se réunisse dans un cadre international sous impulsion des États-Unis, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, assiste aux réunions afin d’y représenter l’Alliance.

Dans les faits, l’Alliance, par nature extensible (Cf. Art. 10 du Traité conditionnant l’accession à l’Alliance par d’autres États), intensifie le processus tacite d’intégration de l’Ukraine, ce qui est à rebours des objectifs politico-militaires russes qui motivent l’invasion de l’Ukraine. L’autre échec stratégique russe est d’ailleurs l’intégration de la Finlande et prochainement de la Suède dans l’Alliance de l’Atlantique Nord, grand succès stratégique des Alliés encore inimaginable début 2022.

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Un besoin d’action par l’OTAN qui se heurte à son caractère multinational

Par-delà l’imaginaire collectif et médiatique attribuant à l’OTAN le rôle d’une entité supplantant les États-membres pour agir au nom de ces derniers, il convient de reconnaître à l’Alliance son rôle de coordination, et aux Nations membres la souveraineté de leurs actions. C’est en cela, in fine, les limites d’une telle organisation internationale.

Certes, nul objectif d’intégration militaire n’est stipulé dans le Traité mais il demeure que la tentative de création de la Communauté européenne de défense (CED) du début des années 1950 marqua les esprits. Face aux pressions des Américains souhaitant réarmer l’Allemagne de l’Ouest pour l’intégrer à l’OTAN, Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, proposa la création de la CED afin d’intégrer toutes les forces aériennes et terrestres des États-membres de la CECA en une même armée « placée sous les ordres du commandement supérieur des forces atlantiques en Europe » (SACEUR de l’OTAN, dirigé par un général américain) selon René Pleven alors Président du conseil français. Ce qui devint le plan Pleven prévoyait que l’armée française (comme celles de l’Allemagne, de l’Italie et du Benelux) se soumette « aux nécessités européennes [afin de] la fusionner dans une organisation supranationale, sans privilège ni réserve ».[15] En 1954, l’Assemblée nationale française, portée par les communistes et les gaullistes, rejeta la ratification du traité instituant la CED, ce qui entraîna l’abandon à terme du projet d’une Communauté politique européenne auquel il était institutionnellement lié.

Il est vrai qu’aujourd’hui la situation est bien différente, en cela que 31 pays sont membres de l’OTAN tandis qu’ils étaient 12 à sa création. Cependant, il demeure cette même hégémonie et influence américaine dans la stratégie de l’Alliance définie dans le « concept stratégique ». L’édition de 2022 définit la Russie comme la menace principale des alliés et non plus comme une « partenaire » (Cf. trois éditions précédentes). Le fait que le général américain en charge du commandement suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) soit aussi en charge des forces américaines stationnées en Europe (EUCOM) illustre cette influence américaine dans les orientations stratégiques de l’OTAN. Le général de Gaulle déplorait d’ailleurs l’hégémonie américaine, ainsi que la dépendance stratégique française vis-à-vis des États-Unis. C’est pourquoi il retira la France du commandement militaire intégré de l’OTAN en 1967 sans pour autant remettre en cause le fondement de l’Alliance atlantique en reconduisant l’adhésion française au Pacte atlantique (le Traité de Washington) en 1969.

Aujourd’hui, la volonté de Souveraineté des différentes Nations de l’Alliance freine la volonté d’intégration et, ce d’autant plus que les besoins ne sont pas les mêmes entre armées de premiers rangs et celles de rangs inférieurs. Par conséquent, l’unité AGS de surveillance aérienne, pourtant sous bannière unique, n’inclut ni la France, ni le Royaume-Uni (deux membres fondateurs de l’OTAN), ni l’Espagne car ces pays considèrent que leurs armées disposent déjà des capacités en matière de collecte de renseignements, et que cette mission relève de l’intérêt national. Finalement, la volonté des pays d’allier leurs forces naît d’une volonté de gain de puissance, si ce n’est de palier des faiblesses. Gagner, palier (sans forcément opposer les deux), où se situe chacun des membres de l’OTAN ? L’affirmation de souveraineté s’exprime aussi et surtout dans l’élaboration des stratégies militaires ou diplomatiques et les États membres affichent leurs désaccords face au conflit russo-ukrainien. En effet, la Turquie, la Hongrie et la Slovaquie sont à contre-courant des autres alliés quant à l’attitude affichée vis-à-vis de la Russie. La Turquie consolide sa politique de non-alignement (sanctions contre la Russie non imposées voire contournées, tenue de pourparlers de paix, échanges commerciaux accrus, vente d’armes aux deux belligérants, etc.) tandis que la Hongrie réaffirme sa bonne entente avec la Russie (échanges gaziers intenses, nouvelles sanctions de l’UE bloquées, transit d’armes pour l’Ukraine refusé et rencontre entre dirigeants). Pour sa part, la Slovaquie réaffirme « une politique étrangère slovaque souveraine »[16] (suspensions du soutien militaire à l’Ukraine, nouvelles sanctions de l’UE bloquées).

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Sont-ce là des dissensions qui affectent la puissance politique de l’Alliance dans le monde ? Car si l’OTAN a une vocation défensive, elle se veut aussi diplomatique. D’ailleurs, en mars 2022, dans la foulée du sommet otanien, furent tenus les sommets du G7 et du Conseil européen afin d’appuyer le poids diplomatique de la condamnation « occidentale ». Si cela démontre une cohésion chez ces partenaires, n’est-ce pas également révélateur d’un OTAN sans voix ? L’Alliance, malgré le poids diplomatique éminent de certains de ses membres, n’en dispose pas d’un en tant que tel. Outre ses dissensions internes, la nature militaire de l’Alliance, bien que « défensive », freine son aura diplomatique. Même si la guerre est « une continuation de la politique par d’autres moyens » selon Clausewitz, les interventions belliqueuses otaniennes passées génèrent aujourd’hui une méfiance dans le monde.

À propos de guerre, les membres de l’OTAN ne seraient-ils plus en mesure d’en mener une dite de « haute intensité » ? C’est ce qui semble ressortir des critiques formulées par les Ukrainiens sur les entraînements reçus, affirmant que les STANAG ne seraient pas adaptées aux réalités du conflit du XXIe siècle et mériteraient d’être mises à jour.[17] Le retour d’expérience de l’Ukraine sera précieux à l’Alliance et c’est d’ailleurs un argument supplémentaire pour l’y intégrer une fois la guerre terminée.

Une autre limite de l’OTAN est sa dépendance vis-à-vis des États-Unis ; contrainte majeure dans l’accomplissement de sa mission en Ukraine mais aussi dans la défense de l’Europe. Même si D. Trump annonça que les États-Unis se retireraient de l’Organisation en cas d’une réélection et invita les Alliés à davantage d’autonomie, cette dernière est paradoxalement empêchée par la volonté américaine de favoriser son industrie militaire aux dépens des fleurons européens. Les postes attribués aux membres dans les structures de commandement dépendent de leur PIB. De fait, les États-Unis, première économie, y sont omniprésents et s’octroient une capacité d’influence pour favoriser l’achat d’équipements militaires américains par les autres membres. En 2035, les avions de combat de Lockheed-Martin représenteront 50% de la flotte totale européenne ; pourtant les Européens représentent 40 % des compétences et savoir-faire mondiaux dans ce domaine.[18] De plus, selon Arnaud Danjean[19], la majorité des pays européens compte sur l’Alliance atlantique pour leur défense et négligent leurs investissements dans leurs propres capacités militaires nationales, ne stimulant donc pas les industries européennes. Cette situation de concurrence agressive a un impact sur l’aide des États membres à l’Ukraine. Des industries de Défense nationales fortes permettraient de garantir une pérennité de ladite aide dans le cas d’un possible retrait américain ou d’un tarissement de l’aide américaine (jugée très coûteuse en finance et en matériel). De plus, cela est indispensable en période de guerre, comme le prouve la capacité de la Russie à poursuivre le conflit[20]. À ce titre, l’Ukraine cherche à développer son industrie de l’armement afin de maintenir ses capacités militaires, considérant que l’aide alliée risque de se tarir. Si elle y réussit, ses capacités concurrenceront les industries européennes une fois la paix retrouvée ; si l’Ukraine perd la guerre la politique dite « pacificatrice » de l’OTAN apparaitra comme un échec sur la scène internationale.

Pour conclure…

La gestion par l’OTAN de la crise en Ukraine nous révèle le principe mouvant et inabouti de l’idéal otanien, lequel repose finalement sur la volonté des États-membres de tendre ou non à une intégration collective (pas tant militaire que politico-idéologique). En particulier, les intérêts parfois divergents entre les Nations sont des freins dans l’accomplissement des objectifs affichés de l’OTAN en Ukraine qui sont de rétablir la paix et son intégrité territoriale (objectif amené à évoluer selon les avancées sur le front), puis de finaliser son accession au sein de l’Alliance de l’Atlantique Nord, objectif affirmé au sommet de Vilnius en juillet 2023 mais qui requerra l’unanimité des membres en temps voulu, ce qui semble compromis aujourd’hui (opposition de la Hongrie voire de la Turquie). Bien que l’Alliance élargisse ses prérogatives avec l’encadrement d’achats de « munitions critiques » par 24 nations (sur 31 membres) grâce à la rédaction de contrats-cadres par l’Agence OTAN de soutien et d’acquisition (NSPA), il nous apparaît finalement que « depuis ce conflit, le rôle de l’OTAN est survalorisé » (Amélie Zima, chercheuse à l’IHEDN).

Agence France Presse (AFP), « Pour Emmanuel Macron, l’OTAN est en état de « mort cérébrale », Le Figaro, 7 novembre 2019, URL : Pour Emmanuel Macron, l’OTAN est en état de «mort cérébrale» (lefigaro.fr)

CHOTINER Isaac, “John Mearsheimer on Putin’s ambiotions after nine months of war”, The Newyorker, 17 novembre 2022 URL : John Mearsheimer on Putin’s Ambitions After Nine Months of War | The New Yorker

Communiqué de Presse de l’OTAN, Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’OTAN, Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord.

Claire Sanderson, « France, Grande-Bretagne et défense de l’Europe 1945-1958, L’impossible alliance ? », Editions de la Sorbonne, Paris, Collection internationale, 2003, pages 265 à 328 disponibles en ligne.

Emmanuel Berreta, « Arnaud Danjean : « La défense européenne est un complément de l’OTAN », Le Point, 25 mars 2022.

Eric Schmitt, “Special Military Cell Flows Weapons and Equipment Into Ukraine”, The New York Times, 27 juillet 2022.

É. Littré, « Alliance », Dictionnaire, 1873.

France 24, « Slovaquie : le nouveau gouvernement annonce l’arrêt de ses livraisons d’armes à l’Ukraine », France 24, 26 octobre 2023.

Gérald Arboit (entretien), « Renseignement en Ukraine : « Quasiment tous les membres de l’OTAN mettent la main à la pâte », Radio France International (RFI), 7 mai 2022.

Jacques Follorou, “Avec les soldats ukrainiens formés à l’étranger : « Je leur disais, aux formateurs de l’OTAN, que leurs manuels ne s’appliquaient pas chez nous », Le Monde, 26 septembre 2023.

LANCEREAU Guillaume, « Discours de Poutine : la politique intérieure de l’agresseur », Le Grand Continent, 22 février 2023.

Meta Defense, « La moitié des avions de chasse en Europe auront été construits par Lockheed-Martin en 2035 », Meta Defense, 4 novembre 2023.

Meta Defense, « Pourquoi l’Europe occidentale sous-estime gravement le devenir de la menace militaire russe ? », Meta Defense, 15 avril 2023, URL : https://meta-defense.fr/2023/04/17/europe-minimise-menace-militaire-russe/

Olivier Schmitt, « Alliances », in B. Durieux, J.-B. Jeangène Vilmer et F. Ramel, Dictionnaire de la guerre et de la paix, Paris, puf, 2017, p. 57.

Radio France International (RFI), « Exercices de l’OTAN en mer Noire, un « sérieux défi », pour Vladimir Poutine », RFI, 13 novembre 2021.

Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord (Traité de l’Atlantique Nord), URL : https://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_17120.htm / Consulté le 27 octobre 2023

Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord, « Police du ciel – Sécuriser l’espace aérien de l’alliance », 17 février 2023.

[1] CHOTINER Isaac, “John Mearsheimer on Putin’s ambitions after nine months of war”, The New Yorker, 17 novembre 2022.

[2] Selon la présidente de la Commission européenne.

[3] Agence France Presse (AFP), « Pour Emmanuel Macron, l’Otan est en état de « mort cérébrale », Le Figaro, 7 novembre 2019.

[4] Olivier Schmitt, « Alliances », in B. Durieux, J.-B. Jeangène Vilmer et F. Ramel, Dictionnaire de la guerre et de la paix, Paris, 2017, p. 57.

[5] É. Littré, « Alliance », Dictionnaire, 1873.

[6] Extraits du préambule et de l’Article 2 du Traité de l’Atlantique Nord, Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord.

[7] LANCEREAU Guillaume, « Discours de Poutine : la politique intérieure de l’agresseur », Le Grand Continent, 22 février 2023.

[8] Propos recueillis auprès du GBA Xavier Foissey breveté du Collège de défense de l’OTAN.

[9] Radio France International (RFI), « Exercices de l’OTAN en mer Noire, un « sérieux défi », pour Vladimir Poutine », RFI, 13/11/2021.

[10] Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord (informations sur la Force de réaction de l’OTAN) / Consulté le 21 octobre 2023.

[11] Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord, « Police du ciel – Sécuriser l’espace aérien de l’alliance ».

[12] Propos recueillis auprès du GBA Xavier Foissey breveté du Collège de défense de l’OTAN.

[13] Site de l’Organisation de l’Atlantique Nord.

[14] Radio France International, « Exercices de l’OTAN en mer Noire, un « sérieux défi », pour Vladimir Poutine », 13 novembre 2021.

[15] Claire Sanderson, « France, Grande-Bretagne et défense de l’Europe 1945-1958, L’impossible alliance ? », Éditions de la Sorbonne, Paris, Collection internationale, 2003, pages 265 à 328.

[16] France 24, « Slovaquie : le nouveau gouvernement annonce l’arrêt de ses livraisons d’armes à l’Ukraine », France 24, 26 octobre 2023.

[17] Jacques Follorou, “Avec les soldats ukrainiens formés à l’étranger : « Je leur disais, aux formateurs de l’OTAN, que leurs manuels ne s’appliquaient pas chez nous » », Le Monde, 26 septembre 2023.

[18] Meta Defense, « La moitié des avions de chasse en Europe auront été construits par Lockheed-Martin en 2035 », 4 novembre 2023.

[19] Emmanuel Berreta, « Arnaud Danjean : « La défense européenne est un complément de l’OTAN », Le Point, 25 mars 2022.

[20] Meta Defense, « Pourquoi l’Europe occidentale sous-estime gravement le devenir de la menace militaire russe ? », 15 avril 2023.

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Hugues-Marie Foissey

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