<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Syrie : exporter ses mercenaires

9 février 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Patrouille turque et russe sur l'autoroute M4 dans le nord de la Syrie. 00963157_000002 Photo : SIPA
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Syrie : exporter ses mercenaires

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La guerre civile syrienne qui dure depuis près d’une décennie a vu émerger une génération de jeunes hommes dont la seule compétence commercialisable est le combat. Qu’ils soient loyalistes ou appartenant à des factions rebelles, leur instrumentalisation sur des théâtres d’opération extérieure révèle le profond déclassement de leur pays d’origine, voué à alimenter en piétaille les petites guerres de leurs parrains. Avec un constat général quelque peu humiliant pour les Syriens : ils sont aussi piètres mercenaires que piètres soldats réguliers…

Dès le début de l’invasion russe de l’Ukraine, les médias syriens ont déployé les vieilles ficelles de l’enthousiasme fraternel et de la motivation des jeunes à aller aider la Russie. Certains chefs miliciens loyalistes chrétiens comme Simon al-Wakil ou Nabil al-Abdallah se firent même photographier sur le point de sacrifier un cochon marqué de la svastika et peint aux couleurs de l’Ukraine. Pour mieux recruter, un contrat type fut diffusé publiquement par le Renseignement militaire : 3 000 $ pour les combattants volontaires et 7 000 $ pour les combattants qui seraient blessés au combat. Le contrat prévoyait également des rations alimentaires pour les familles des volontaires et une indemnité d’assurance de 15 000 dollars si le volontaire mourait au combat[1].

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Mercenaires syriens en Ukraine : un échec cuisant

Dès le printemps 2022, certaines sources syriennes faisaient état de 40 000 mercenaires enregistrés, chiffre invérifiable, mais surtout invraisemblable. Les civils qui s’étaient spontanément présentés à l’ambassade de Russie à Damas et à la base aérienne militaire de Hmeimim furent refoulés, l’armée russe ayant expliqué avoir délégué la tâche à divers partenaires privés, comme Al-Sayyad, une société de sécurité qui démarra sa campagne de recrutement le 12 mars 2022. Résultat : à peine une trentaine d’hommes enregistrés, contre 200 attendus. Nabil al-Abdallah, à la tête d’une force d’autodéfense composée de chrétiens, et qui avait proposé l’utilisation de ses hommes pour leur prétendue expertise dans le combat urbain a lui aussi été recalé. Ses troupes, mal équipées et composées de civils courageux mais peu disciplinés, n’ont jamais excellé sur le champ de bataille selon les Russes.

Si les combattants syriens étaient tant indispensables à la stratégie de la Russie en Ukraine, la solution eût été de recruter dans les groupes armés qu’elle soutient, comme la 8e brigade, composée de soldats professionnels équipés d’armes individuelles, payés régulièrement, et habitués à travailler avec des officiers russes. Pourtant, Moscou n’a visiblement pas choisi de recourir à cette option. De plus, le manque historique de sous-officiers, indispensables au maintien d’une chaîne de commandement solide sur le terrain, combiné à l’inexpérience des Russes dans le commandement des troupes syriennes sous le feu, a souvent nui à l’efficacité de l’action russe sur le terrain syrien. La Russie sait financer et équiper un groupe armé, bombarder une ville, mais a beaucoup plus de mal à coordonner des opérations en première ligne avec des forces auxiliaires, comme à vrai dire de beaucoup d’armées[2]. En fin de compte, l’emploi des forces syriennes aurait été avantageux pour des tâches subalternes telles que la garde, la manutention et le nettoyage à moindre coût pour l’armée russe. Un constat humiliant, mais réaliste, conforme aux motivations des combattants loyalistes syriens. Certains, pour la plupart alaouites, se battront jusqu’au dernier, mais pour leur pays. D’autres, pour leur village uniquement. Enfin, sans doute la majorité, certains déploient des ressources désespérées pour ne pas se battre du tout, par le biais de l’exemption ou de l’émigration.

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Libye, terrain de jeu des supplétifs syriens au service de la Turquie

Le 5 octobre 2022, on apprenait par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) que près de 250 mercenaires syriens avaient été renvoyés en Syrie depuis la Libye via la Turquie. Cette information paraissait contredire la décision officielle de la Turquie fin juin 2022 d’arrêter le processus de transfert jusqu’à la fin de l’année. Mais la Turquie considère sa présence militaire en Libye comme « légale » et explique qu’elle s’inscrit dans le cadre du protocole d’accord sur la coopération sécuritaire et militaire signé en novembre 2019 entre la Turquie et le gouvernement d’entente nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj. Le Parlement turc a approuvé en juin 2022 la prolongation du mandat des forces armées turques en Libye pour une nouvelle période de dix-huit mois à compter du 2 juillet, à la demande du président Recep Tayyip Erdogan. Ankara affirme que sa présence en Libye vise à aider le pays à établir une armée unifiée qui rassemble toutes les forces de l’est et de l’ouest sous un même parapluie. La plupart des combattants syriens envoyés par la Turquie sont des anciens rebelles opérant sous la bannière Al-Sultan Murad, Soqur al-Shamal, Suleiman Shah, Division Al-Hamza, Al-Majd Corps et d’autres factions pro-turques du nord de la Syrie. Les combattants syriens recrutés par la Turquie seraient payés entre 800 et 2 000 dollars par mois. Mais de nombreux témoignages rapportent les problèmes induits par la présence des Syriens :

1/ Une très mauvaise entente avec les Libyens sur place, ces derniers accusant certaines brigades de trafics en tous genres.

2/ Des salaires impayés et des rotations insuffisantes.

Ces problèmes ont émergé à l’occasion d’affrontements entre les membres des factions Al-Sultan Murad et Soqour al-Shamal depuis début juillet 2022 et des demandes continues de reprise des opérations de rotation. Les mercenaires ont menacé d’organiser des manifestations si les opérations devaient être suspendues jusqu’à fin 2022. Beaucoup de ces mercenaires se trouvent dans des camps libyens depuis plus de deux ans et ont été empêchés de se rendre en Syrie. En cause : les dirigeants accusés de voler leurs salaires et de les affamer[3]. Néanmoins, il semblerait que les volontaires syriens continuent de se presser auprès des recruteurs turcs, ce qui témoigne des conditions économiques désespérées dans le nord-ouest de la Syrie et du fait que les recrues potentielles pensent que leur utilisation en Libye sera paramilitaire, voire purement sécuritaire.

Côté russe (Haftar), le journal turc Daily Sabah révélait en avril 2021 que le groupe russe Wagner avait envoyé 300 mercenaires syriens pour rejoindre les forces de Khalifa Haftar dans l’est de la Libye. Il est probable qu’ils aient été affectés à la garde d’installations pétrolières. En mars 2022, ces combattants étaient rapatriés à Benghazi puis en Syrie, sur la base russe de Mheimim, sans qu’aucune indication d’une nouvelle rotation de combattants syriens n’ait filtré. Selon des sources de l’opposition syrienne[4], sujettes à caution, la Russie disposait de quatre brigades syriennes sur le territoire libyen, soit un total de 1 200 hommes, répartis dans les régions de Jufra et de Syrte. Il est probable qu’ils soient revenus progressivement depuis l’invasion de l’Ukraine, sans toutefois que l’on sache précisément si et comment ils sont employés dans le Donbass, comme semblait le suggérer le Pentagone en mai dernier[5].

Azerbaïdjan, la guerre sale des mercenaires syriens

Selon des informations reçues par l’ONU, des membres de la division Hamza, de la division Sultan Murad, de la faction Al-Amshat et de la brigade Sultan Sliman Shah auraient accepté d’être transférés en Azerbaïdjan en échange d’une compensation financière. La lettre de l’ONU indiquait que « la Turquie engagerait des sociétés militaires et de sécurité privées pour faciliter la préparation de la documentation officielle et contractuelle pour les combattants, apparemment en coordination avec les services de sécurité turcs ». On estime ainsi qu’environ 2 000 mercenaires du Moyen-Orient, pour la plupart syriens, ont combattu au Haut-Karabakh[6]. Des témoignages de mercenaires capturés par les forces de l’ordre arméniennes confirment qu’en plus de leurs paiements mensuels d’environ 2 000 dollars (+ 60 000 $ versés à la famille en cas de décès), les mercenaires se sont vu promettre 100 dollars supplémentaires comme « récompense » pour chaque Arménien décapité[7].

En définitive, l’apport syrien dans le mercenariat contemporain reste très marginal et surtout peu performant. Il témoigne de la désinstitutionalisation générale de la région, où armées et autorités légales marquent le pas sur l’entrepreneuriat milicien et les ingérences étrangères.

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[1] Selon le site Al Arabiya, la solde serait plutôt de 1 000 à 2 000 $ voir, https://english.alarabiya.net/News/world/2022/03/20/Some-Syrian-veterans-ready-for-Ukraine-fight-on-Russian-side-commanders-say

[2] Voir à ce sujet le mémoire de C. de Penfentenyo, Survivre c’est vaincre, les milices loyalistes en Syrie, Éditions de l’École de guerre, 2018.

[3] https://stj-sy.org/en/syrian-mercenaries-in-libya-commanders-and-recruits-involved-in-serious-violations/

[4] https://www.libyaobserver.ly/news/wagner-withdraws-hundreds-syrian-mercenaries-through-benghazi-airport, 6 février 2022.

[5] Voir le briefing du Pentagone du 4 mai 20022 https://www.defense.gov/News/Transcripts/Transcript/Article/3020396/senior-defense-official-holds-a-background-briefing/

[6]https://www.ohchr.org/sites/default/files/2022-04/Open-Society-Foundations-Armenia-CFI-WG-Mercenaries-HRC51. PDF p. 11.

[7] Siranush Ghazaryan, « Les forces de l’Artsakh capturent un mercenaire syrien (vidéo) », Radio publique d’Arménie, 30 octobre 2020. https://en.armradio.am/2020/10/30/artsakh-forces-capture-syrian-mercenary-video/ ; « Vidéo : L’armée d’Artsakh capture un autre mercenaire syrien », Hetq, 1er novembre 2020, https://hetq.am/en/article/123824 ; Paul Antonopoulos, « Un terroriste syrien capturé en Artsakh donne un témoignage choquant », Greek City Times, 6 novembre 2020. https://greekcitytimes.com/2020/11/06/syrian-artsakh-armenian/

À propos de l’auteur
Frédéric Pichon

Frédéric Pichon

Professeur en classe préparatoire ECS, chercheur spécialiste de la Syrie. Dernier ouvrage paru : « Syrie, une guerre pour rien », Cerf, mars 2017.
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