Tokaïev entre Washington, Moscou et Pékin : la diplomatie multivectorielle du Kazakhstan à l’œuvre

19 novembre 2025

Temps de lecture : 4 minutes

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Tokaïev entre Washington, Moscou et Pékin : la diplomatie multivectorielle du Kazakhstan à l’œuvre

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Depuis juin 2025, le président kazakhstanais Kassym-Jomart Tokaïev a multiplié les déplacements de haut niveau : une séquence ouverte par des échanges bilatéraux avec Pékin, suivie d’un sommet à Washington puis d’une visite d’État à Moscou. En apparence disparates, ces visites dessinent en réalité une ligne claire : celle d’un Kazakhstan déterminé à s’affirmer au cœur des recompositions géopolitiques eurasiennes sans s’aligner entièrement sur aucun camp. Elles illustrent une fois encore la constance d’Astana dans sa diplomatie multivectorielle.

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Une constante stratégique : la diplomatie multivectorielle

Depuis son indépendance, le Kazakhstan a fait de la diplomatie multivectorielle la pierre angulaire de son action extérieure. Élaborée dans les années 1990 puis consolidée sous Tokaïev, cette doctrine repose sur un principe simple : maintenir des relations constructives et équilibrées avec toutes les grandes puissances. Ses objectifs sont explicites :

• préserver sa souveraineté dans un espace soumis à plusieurs zones d’influence,

• diversifier ses partenariats économiques, sécuritaires et politiques,

• affirmer le Kazakhstan comme un pivot régional capable de dialoguer avec tous.

Dans un contexte global marqué par les rivalités sino-américaines et les tensions persistantes entre la Russie et les capitales occidentales, cette stratégie apparaît plus que jamais comme un avantage compétitif pour Astana.

Deux rendez-vous avec Pékin : cap sur l’intégration eurasiatique

La séquence diplomatique s’est ouverte le 16 juin 2025, à Astana, où Tokaïev a accueilli le président chinois Xi Jinping dans le cadre du sommet Chine–Asie centrale. Les deux chefs d’État ont alors signé 24 accords bilatéraux, couvrant l’énergie, les infrastructures, l’agriculture, la haute technologie, le tourisme et la logistique. Pékin a souligné la vision stratégique commune qui guide cette coopération, marquant le passage d’une période de rapprochement progressif à une phase de partenariat approfondi.

Moins de trois mois plus tard, le 30 août 2025, les deux dirigeants se sont retrouvés à Tianjin en marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Cette seconde rencontre, inscrite dans un cadre multilatéral, a rappelé la place centrale du Kazakhstan dans les mécanismes de coopération régionale sino-centrés.

En consolidant sa relation avec Pékin, le Kazakhstan accélère sa modernisation économique, renforce son rôle dans les corridors eurasiatiques et confirme son statut de plateforme logistique entre la Chine et l’Europe.

Le président Tokaïev et le président Trump avant une entrevue à la Maison Blanche. 7 novembre 2025. (C) SIPA

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Washington (6 novembre 2025) : un partenariat stratégique revitalisé

Le 6 novembre 2025, Tokaïev s’est rendu à Washington pour participer au sommet C5+1, accueilli par le président américain Donald Trump. Un communiqué officiel, intitulé “A New Era in U.S.–Kazakhstan Relations”, a mis en avant la volonté partagée d’approfondir le partenariat stratégique.

Selon The Astana Times, Tokaïev a salué « une nouvelle ère de coopération » entre l’Asie centrale et les États-Unis. En marge des discussions, plusieurs accords et mémorandums ont été annoncés dans les domaines des minerais critiques, de l’énergie et des technologies. Des annonces d’investissements totalisant près de 17 milliards de dollars ont été évoquées.

Cette visite renforce la position du Kazakhstan comme interlocuteur fiable de Washington, soucieux d’attirer des capitaux, de diversifier ses partenariats économiques et de moderniser son appareil productif, sans pour autant déséquilibrer ses relations avec les autres grandes puissances.

Moscou (11–12 novembre 2025) : consolider une relation historique

À peine revenu des États-Unis, Tokaïev s’est rendu à Moscou les 11 et 12 novembre 2025 pour une visite d’État à l’invitation du président russe Vladimir Poutine. Les deux dirigeants ont discuté de la coopération gazière et des répercussions des sanctions américaines sur les entreprises russes, selon Reuters. Plusieurs documents de partenariat stratégique ont été signés, renforçant ce que les deux parties décrivent régulièrement comme des relations « éternelles et pragmatiques ».
La Russie demeure un partenaire essentiel pour le Kazakhstan, tant sur les plans économique que logistique. En poursuivant un dialogue soutenu avec Moscou, Tokaïev montre que la diplomatie multivectorielle ne signifie pas prendre ses distances avec un allié historique, mais cultiver un équilibre assumé.

Trois axes, une seule stratégie

L’enchaînement de ces trois déplacements illustre parfaitement la logique kazakhstanaise :

• Avec la Chine, le pari de l’avenir, des infrastructures et de la connectivité eurasiatique ;

• Avec Washington, l’ouverture vers l’innovation, les investissements et l’économie de la modernité ;

• Avec Moscou, la préservation d’un partenariat traditionnel garant de stabilité régionale.

Le fait que le Kazakhstan renforce simultanément ses relations avec des puissances souvent rivales témoigne de sa capacité à définir sa propre trajectoire, sans se laisser enfermer dans une logique d’alignement. C’est là toute la force de la diplomatie multivectorielle : naviguer avec souplesse entre les grandes puissances, tout en restant fidèle à ses intérêts nationaux.

Au-delà de la succession de visites, la stratégie d’Astana apparaît clairement : le Kazakhstan ne se contente pas d’entretenir des relations parallèles, il construit un positionnement singulier. Un partenaire sérieux pour les États-Unis, un allié pragmatique pour la Russie, un collaborateur de long terme pour la Chine.

Dans un contexte international fragmenté, cette flexibilité constitue un atout stratégique majeur. Sous la conduite de Kassym-Jomart Tokaïev, le Kazakhstan affirme sa place en choisissant le dialogue universel. Un choix qui, pour un État au cœur de l’Eurasie, pourrait bien s’avérer plus durable que tout alignement exclusif.

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste

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