Fini la médecine traditionnelle. La Chine est désormais l’une des plus grandes industries pharmaceutiques au monde, capable de rivaliser avec l’Inde et les Européens. Une longue marche, initiée depuis l’époque de Mao.
Après l’automobile et l’intelligence artificielle, des sujets médiatiquement « sexy » qui impactent directement notre quotidien, il est essentiel de prêter attention aux avancées d’un autre secteur qui avance à pas de géant : l’industrie pharmaceutique et biotechnologique chinoise. Autrefois centrée sur la fabrication de médicaments génériques, la Pharma chinoise s’est transformée en l’espace d’une décennie en un acteur de premier plan, capable de développer des médicaments originaux et de rivaliser avec les géants occidentaux.
Depuis 2015, la Chine est le deuxième marché pharmaceutique mondial, avec un chiffre d’affaires estimé à plus de 160 milliards € en 2023, consolidant sa place de deuxième plus grand marché mondial après les États-Unis. Cette croissance est alimentée par une demande accrue en soins de santé de qualité, notamment en raison du vieillissement de la population et de l’urbanisation rapide.
Historique du secteur chinois
Dans les premières décennies suivant la fondation de la République populaire de Chine en 1949, le gouvernement a nationalisé l’ensemble du secteur pharmaceutique. Dans un contexte où l’autosuffisance constituait un objectif central, la production de médicaments était contrôlée par des entreprises d’État, telles que Shanghai Pharma, Harbin Pharmaceutical Group (Hayao) et North China Pharmaceutical Group (NCPC), qui se sont imposées comme des piliers du développement industriel pharmaceutique du pays. La coopération avec l’URSS était le principal contact du secteur avec le monde extérieur. Dans ce cadre, l’industrie pharmaceutique a bénéficié d’un transfert massif de savoir-faire et de technologies de la part de l’Union soviétique. Ce soutien s’est traduit par la modernisation des infrastructures, la fourniture d’équipements de production et la formation de techniciens chinois aux méthodes soviétiques.
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L’un des principaux bénéficiaires de cette coopération fut Harbin Pharmaceutical Group (Hayao), qui reçut du matériel et des connaissances spécialisées pour produire des antibiotiques essentiels, notamment la pénicilline et la streptomycine, indispensables dans la lutte contre les maladies infectieuses. De son côté, North China Pharmaceutical Group (NCPC), fondé en 1953, fut conçu sur le modèle des industries pharmaceutiques soviétiques et devint rapidement un acteur clé dans la fabrication de pénicilline et de sulfamides, consolidant ainsi la capacité chinoise à fournir des médicaments vitaux à grande échelle.
Fin de l’assistance soviétique
Cependant, la rupture sino-soviétique au début des années 1960 mit un terme à cette assistance. Ce revirement géopolitique obligea la Chine à repenser son industrie pharmaceutique, à renforcer son autonomie et à développer des solutions alternatives pour garantir l’accès aux médicaments de base.
Face à l’isolement international, les dirigeants chinois mirent en place une politique visant à garantir l’autosuffisance pharmaceutique. Cette orientation fut particulièrement renforcée lors du Grand Bond en avant (1958-1962) et de la Révolution culturelle (1966-1976), deux périodes au cours desquelles la Chine chercha à développer une industrie pharmaceutique reposant principalement sur des ressources nationales.
La production pharmaceutique se recentra alors sur les médicaments génériques, qui permettaient de répondre aux besoins de la population sans nécessiter d’importants investissements en recherche et développement. Des substances essentielles comme les antibiotiques, les analgésiques et les antipaludéens furent largement copiées à partir de formulations occidentales, souvent sans licence officielle. Cette approche permit de garantir une production de masse, mais freina l’innovation et limita la compétitivité des entreprises chinoises sur le marché international.
Développement de la médecine traditionnelle
Parallèlement, la médecine traditionnelle chinoise (MTC) fut largement encouragée par les autorités. Mao Zedong, soucieux de pallier les carences du système médical moderne, promut activement le recours aux plantes médicinales et aux remèdes traditionnels, notamment dans les campagnes où les infrastructures médicales étaient insuffisantes. C’est dans ce contexte qu’émergea le programme des « médecins aux pieds nus », une initiative visant à diffuser des connaissances médicales de base et à encourager l’usage des traitements issus de la pharmacopée chinoise dans les zones rurales. Cette politique permit de maintenir un certain niveau de soins de santé, mais elle éloigna également la Chine des progrès scientifiques réalisés dans le domaine pharmaceutique à l’étranger.
Bien que la Chine ait été largement isolée du marché pharmaceutique mondial avant 1978, certaines entreprises européennes et japonaises ont discrètement accordé des licences de production à des laboratoires chinois. De plus, la Chine a bénéficié de transferts de technologie en provenance de certains pays d’Europe de l’Est, notamment de la Tchécoslovaquie et de la RDA (Allemagne de l’Est), qui lui ont permis de produire localement des vaccins et des antibiotiques.
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Néanmoins, la grande majorité des médicaments fabriqués en Chine avant 1978 étaient des copies non officielles de médicaments occidentaux ou soviétiques. L’accent était mis sur la médecine traditionnelle chinoise, bien que la médecine occidentale ait commencé à être progressivement intégrée. Cependant, privées d’accès aux brevets et aux collaborations internationales, les entreprises pharmaceutiques chinoises se sont spécialisées dans la reproduction de formulations existantes, une pratique qui, bien que répondant aux besoins immédiats du pays, freinait le développement de nouvelles molécules et limitait l’exportation vers les marchés occidentaux.
Remodelage à partir des années 1970
L’ouverture économique amorcée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970 a profondément remodelé l’industrie pharmaceutique chinoise. Avec les réformes de 1978, le pays s’est ouvert aux investissements privés et étrangers, favorisant ainsi l’essor de la recherche pharmaceutique et la production industrielle de médicaments génériques. Cette dynamique s’est accompagnée d’un renforcement du cadre réglementaire, avec l’adoption en 1985 d’une loi sur l’administration des médicaments, qui posait les bases des normes de fabrication et de sécurité. La création de l’Administration nationale des produits alimentaires et pharmaceutiques (SFDA), aujourd’hui connue sous le nom de National Medical Products Administration (NMPA), a marqué une étape clé dans l’organisation de la régulation du secteur. Parallèlement, des sociétés comme China National Pharmaceutical Group (Sinopharm) et Tianjin Pharmaceutical Holdings ont consolidé leur position en tant que leaders du marché, contribuant au rôle croissant de la Chine en tant que fournisseur mondial d’ingrédients pharmaceutiques actifs (APIs), un positionnement stratégique important. En 2022, le pays a exporté des API pour une valeur totale de 51,8 milliards dollars, enregistrant une croissance de 24 % par rapport à l’année précédente. Les principaux marchés destinataires de ces exportations étaient l’Inde et les États-Unis, avec des augmentations respectives de 7,5 % et 8,7 % en glissement annuel.
En mettant l’accent sur la production à grande échelle et à faible coût, le pays est devenu un acteur incontournable dans la fabrication de médicaments génériques destinés aux marchés nationaux et internationaux. Les médicaments génériques constituent environ 70 % des ventes totales de l’industrie pharmaceutique chinoise en 2023.
2001 : un tournant décisif
L’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMS) en 2001 a constitué un tournant décisif pour l’industrie pharmaceutique nationale, ouvrant de nouvelles perspectives de développement à l’international. L’accent s’est progressivement déplacé de la simple fabrication de médicaments génériques vers l’innovation pharmaceutique et la biotechnologie. L’investissement accru dans la recherche et le développement a permis à la Chine de se positionner dans des domaines de pointe, tels que les biosimilaires et les nouvelles thérapies médicales. Des groupes pharmaceutiques comme Shanghai Fosun Pharmaceutical, WuXi AppTec et Hengrui Medicine se sont imposés comme des références dans l’innovation, développant des traitements de plus en plus sophistiqués et compétitifs sur la scène mondiale. Par ailleurs, CSPC Pharmaceutical Group, autrefois un producteur majeur de médicaments génériques, a amorcé un virage vers la recherche et la production de médicaments innovants, notamment en oncologie et en immunothérapie.
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L’amélioration du cadre réglementaire a joué un rôle central dans cette montée en puissance. En 2015, la restructuration de l’ancienne SFDA (State Food and Drug Administration) en NMPA (National Medical Products Administration) a permis d’harmoniser les réglementations chinoises avec celles des grandes agences internationales, comme la FDA aux États-Unis et l’EMA en Europe. L’adoption des normes de l’International Council for Harmonisation (ICH) a facilité l’approbation des médicaments chinois sur les marchés étrangers, contribuant ainsi à la reconnaissance croissante de l’expertise pharmaceutique chinoise.
Les chiffres témoignent de cette transformation à grande échelle. En 2020, moins de 5 % des grandes transactions pharmaceutiques mondiales impliquaient des entreprises chinoises. En 2024, ce chiffre a bondi à près de 30 %. Parallèlement, le secteur des biotechnologies en Chine a connu une explosion des financements, avec plus de 20 milliards de dollars levés par des startups chinoises entre 2021 et 2023. Cette dynamique place la Chine parmi les acteurs majeurs de l’innovation en matière de médicaments. De plus, le nombre d’approbations de médicaments chinois par la FDA américaine a considérablement augmenté, avec plus de 100 nouveaux traitements chinois entrés en essais cliniques aux États-Unis depuis 2020.
Les avantages de l’industrie chinoise
L’essor de l’industrie pharmaceutique chinoise repose sur plusieurs avantages compétitifs clés, dont certains rappellent ceux du secteur technologique. Des scientifiques chinois formés dans les meilleures institutions occidentales sont retournés au pays, apportant connaissances et savoir-faire qui ont favorisé la création de pôles biotechnologiques de pointe. Des villes comme Shanghai, Shenzhen et Pékin sont devenues de véritables centres de la biotechnologie avec des startups à côté des entreprises plus mûres économiquement.
La Chine bénéficie également d’avantages considérables en matière de coûts. Le développement d’un médicament en Chine coûte entre 30 et 50 % de moins qu’aux États-Unis ou en Europe. Les essais cliniques sont jusqu’à 70 % moins chers grâce à des coûts de main-d’œuvre et de régulation réduits, permettant un développement plus rapide et plus économique des traitements.
Le gouvernement chinois joue un rôle déterminant dans cette progression rapide. En mettant en place des politiques visant à accélérer les procédures d’approbation des médicaments, il a réduit les délais de validation de 5 à 7 ans à seulement 2 ou 3 ans pour les traitements nouveaux. Des incitations financières, sous forme de subventions, d’exonérations fiscales et d’aides directes, ont fait de la biotechnologie l’un des secteurs les plus soutenus en Chine.
Rappelons que cette agilité peut également avoir des conséquences, et que, ces dernières années, plusieurs scandales sanitaires ont mis en lumière des dysfonctionnements liés à la régulation ainsi qu’à l’application des règles.
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Des entreprises puissantes
Plusieurs cas emblématiques illustrent la montée en puissance des entreprises pharmaceutiques chinoises sur la scène mondiale. L’un des exemples les plus marquants est le partenariat entre Summit Therapeutics et Akso, une biotech chinoise. En 2023, Summit a annoncé que son médicament oncologique, acquis auprès d’Akso, affichait des résultats supérieurs à Keytruda (nom générique pembrolizumab, un médicament d’immunothérapie de la classe des anticorps monoclonaux qui permet au système immunitaire d’attaquer les cellules cancéreuses), un traitement de Merck générant 30 milliards de dollars par an, marquant ainsi un changement de perception dans l’industrie pharmaceutique mondiale. Un autre succès retentissant est celui de Legend Biotech, une entreprise chinoise ayant co-développé Carvykti, une thérapie CAR-T révolutionnaire contre le myélome multiple, en partenariat avec Johnson & Johnson. Approuvée par la FDA en 2022, cette thérapie a marqué une avancée historique pour la biopharma chinoise, avec un accord valorisé à plus de 6 milliards de dollars. Les ventes en 2024 ont atteint 963 millions de dollars, représentant une croissance de 92,7 % par rapport à l’année précédente.
De même, en 2023, Merck a acquis une licence pour un médicament anti-obésité développé par Hansoh Pharmaceutical, une entreprise chinoise, moyennant un paiement initial de 112 millions de dollars et des paiements additionnels pouvant atteindre 2 milliards de dollars. En comparaison, Viking Therapeutics, une biotech américaine développant un traitement similaire, était valorisée à 3,7 milliards de dollars avant même d’obtenir l’approbation de la FDA. Cette différence met en évidence l’attrait croissant des alternatives chinoises pour les entreprises occidentales, qui cherchent à réduire leurs coûts tout en bénéficiant d’innovations pharmaceutiques de pointe.
Malgré ces avancées, l’industrie pharmaceutique chinoise fait encore face à plusieurs défis majeurs. Les régulateurs occidentaux restent sceptiques quant à la validité des essais cliniques chinois, notamment ceux menés exclusivement en Chine. Pour surmonter ces réticences, de plus en plus d’entreprises chinoises optent pour des essais multi-régionaux afin d’obtenir une reconnaissance plus large.
Entrée dans les marchés émergents
Un des plus grands atouts des laboratoires pharmaceutiques chinois réside dans leur capacité à pénétrer les marchés émergents où le facteur prix est décisif. L’Indonésie, avec une population de plus de 270 millions d’habitants, est ainsi devenue un point d’entrée stratégique pour l’industrie pharmaceutique chinoise. Les médicaments chinois y sont non seulement plus abordables que leurs équivalents occidentaux, mais ils rencontrent aussi moins de résistance réglementaire. De plus, la Chine se positionne avantageusement pour répondre aux besoins du marché musulman mondial, qui compte plus de 2 milliards de personnes, en développant des médicaments conformes aux exigences halal.
Avec l’expansion de la population musulmane et l’essor du marché des produits halal, la demande en médicaments conformes aux principes de l’Islam ne cesse de croître. Le marché pharmaceutique halal représente une opportunité économique majeure, mais il soulève également des défis techniques et réglementaires importants. La conformité halal dans les médicaments implique une sélection rigoureuse des ingrédients, des procédés de fabrication spécifiques et une certification adéquate.
L’un des principaux critères pour qu’un médicament soit considéré comme halal est l’absence d’ingrédients interdits par la loi islamique, tels que l’alcool éthylique (éthanol) et les dérivés du porc. De nombreux excipients et adjuvants utilisés dans l’industrie pharmaceutique traditionnelle proviennent de sources animales, notamment la gélatine utilisée dans les capsules ou les enrobages de comprimés. Cette gélatine est souvent d’origine porcine, ce qui la rend non conforme aux exigences halal. Pour pallier ce problème, certaines entreprises ont développé des alternatives à base de gélatine bovine certifiée halal ou de sources végétales comme.
Un autre défi majeur concerne les solvants et conservateurs, en particulier l’alcool. Dans la production pharmaceutique, l’éthanol est couramment utilisé comme solvant dans les sirops, les solutions injectables et certains médicaments liquides. Or, l’utilisation d’alcool dans les produits consommables est strictement réglementée en Islam. Certains érudits religieux acceptent des quantités résiduelles minimes si elles sont nécessaires à des fins médicales et ne provoquent pas d’effets intoxicants, mais d’autres rejettent complètement son utilisation. Pour répondre aux attentes des consommateurs musulmans, plusieurs laboratoires pharmaceutiques proposent aujourd’hui des formulations sans alcool, en utilisant des solvants alternatifs, comme la glycérine végétale ou le propylène glycol.
Pénétrer les marchés musulmans
La certification halal est un autre enjeu crucial. Contrairement à l’industrie agroalimentaire, où les normes halal sont bien établies et largement appliquées, la certification des médicaments reste encore fragmentée et manque d’harmonisation au niveau international. Plusieurs organismes, tels que JAKIM (Malaisie), MUI (Indonésie) et le GCC Halal Center (pays du Golfe), ont développé des standards spécifiques, mais leur reconnaissance varie selon les pays. Pour obtenir la certification, les fabricants doivent démontrer que leurs produits ne contiennent pas d’ingrédients interdits et qu’ils sont fabriqués dans des conditions garantissant l’absence de contamination croisée avec des substances non halal.
Certains pays musulmans, comme la Malaisie et l’Indonésie, ont mis en place des réglementations strictes pour encourager la production et l’exportation de médicaments halal. La Malaisie, pionnière dans ce domaine, a établi la norme MS2424:2012 pour les produits pharmaceutiques halal, qui couvre aussi bien la sélection des ingrédients que les processus de fabrication et d’emballage. L’Indonésie, de son côté, impose depuis 2019 une certification halal progressive pour tous les produits pharmaceutiques commercialisés sur son territoire.
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Si la Chine s’est imposée comme un acteur incontournable dans la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs (API) et dans le développement de biotechnologies avancées, l’Inde s’est quant à elle spécialisée dans la fabrication de médicaments génériques et de vaccins à bas coût. Ces deux géants, bien que complémentaires à bien des égards, évoluent dans des dynamiques économiques et stratégiques distinctes.
Deuxième marché mondial
En termes de taille de marché, la Chine se positionne comme le deuxième plus grand marché pharmaceutique mondial après les États-Unis, avec une valeur estimée à environ 160 milliards de dollars en 2023. À l’inverse, le marché indien est plus modeste en valeur, atteignant environ 50 milliards de dollars, mais il occupe une place prépondérante en volume, se classant au troisième rang mondial en matière de production de médicaments. Cette différence s’explique par le fait que la Chine développe de plus en plus de médicaments innovants et biosimilaires, tandis que l’Inde reste concentrée sur la fabrication de génériques, destinés à alimenter des marchés internationaux, notamment aux États-Unis et en Europe.
L’un des aspects les plus marquants de la domination chinoise est son rôle dans la production des API. La Chine produit plus de 40 % des ingrédients pharmaceutiques mondiaux et alimente une grande partie de l’industrie pharmaceutique indienne, qui dépend d’elle pour près de 70 % de ses matières premières. En revanche, l’Inde s’est spécialisée dans la transformation et la commercialisation de médicaments finis, notamment les génériques, qui représentent plus de 20 % du marché mondial. Cette situation illustre une dépendance mutuelle entre les deux pays, où la Chine fournit les composants essentiels, tandis que l’Inde les transforme en médicaments prêts à l’emploi.
Concurrence indienne
Au niveau de la réglementation et de la qualité, l’Inde bénéficie d’un avantage non négligeable. Son industrie pharmaceutique compte plus de 700 usines certifiées par la FDA américaine et l’EMA européenne, lui permettant d’exporter largement vers les marchés les plus réglementés. En comparaison, la Chine a longtemps été confrontée à des problèmes de conformité et de transparence, bien que des efforts considérables aient été entrepris ces dernières années pour renforcer les normes de production et accroître la qualité des médicaments. L’émergence de la biotechnologie chinoise, notamment dans le domaine des thérapies cellulaires et des anticorps monoclonaux, témoigne d’une volonté de s’imposer non seulement comme un fabricant, mais aussi comme un innovateur.
L’un des aspects qui différencient également ces deux puissances est leur investissement en recherche et développement. L’Inde investit entre 8 et 12 % de son chiffre d’affaires pharmaceutique dans la R&D, mais reste majoritairement axée sur l’optimisation des génériques et la production de biosimilaires (médicaments biologiques développés pour être très similaires à un médicament biologique dont le brevet a expiré. Contrairement au générique un biosimilaire est une version proche, mais non identique d’un médicament biologique). La Chine, bien que n’investissant que 2 à 5 % dans ce domaine, commence à se démarquer par des avancées significatives en oncologie, en immunothérapie et en intelligence artificielle appliquée à la médecine. Sa stratégie est clairement orientée vers la montée en gamme et le développement de nouveaux traitements, notamment à travers des partenariats avec des entreprises occidentales et l’implantation massive de centres de biotechnologie.
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Sur le plan économique, l’Inde conserve un avantage en termes de coûts de production. Ses infrastructures permettent de produire des médicaments à des prix bien inférieurs à ceux de la Chine, ce qui en fait un acteur clé dans l’accès aux traitements à bas coût, notamment en Afrique et dans les pays en développement. La Chine, en revanche, voit ses coûts de fabrication augmenter en raison de l’amélioration des conditions de travail et de l’application de réglementations plus strictes. Toutefois, elle compense cette hausse par une capacité de production plus automatisée et une montée en sophistication de ses produits.
Des défis majeurs
En dépit de leur succès respectif, ces deux industries doivent faire face à des défis majeurs. L’Inde est confrontée à sa dépendance excessive aux API chinois, ce qui la rend vulnérable aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement. De son côté, la Chine souffre de tensions géopolitiques croissantes et de l’intérêt des pays occidentaux à rapatrier certaines productions pharmaceutiques pour garantir une meilleure souveraineté sanitaire. En réponse, l’Inde cherche à renforcer sa production locale d’API et à diversifier ses fournisseurs, tandis que la Chine accélère sa transition vers des médicaments innovants pour réduire sa dépendance aux exportations de génériques.
Si la Chine domine la production de médicaments génériques et d’API, la France conserve un avantage compétitif dans le domaine des biotechnologies et des médicaments innovants. Des entreprises françaises développent des traitements de pointe, notamment en oncologie, immunothérapie et thérapies géniques. Des start-ups et laboratoires comme BioNTech (partenaire de Pfizer), Innate Pharma ou Cellectis sont à la pointe de la recherche en biotechnologie.
Des investissements importants
Cependant, la Chine investit massivement dans ces domaines et rattrape rapidement son retard. Avec des politiques de soutien à l’innovation et des partenariats avec des laboratoires occidentaux, elle est en train de devenir un acteur clé du marché des biopharmaceutiques. De grandes entreprises chinoises comme BeiGene et WuXi Biologics se développent à l’international et concurrencent de plus en plus les laboratoires européens.
Face à la domination croissante de la Chine dans le secteur pharmaceutique, la France tente de préserver sa souveraineté et sa compétitivité. La dépendance aux ingrédients pharmaceutiques actifs (API) chinois et aux médicaments génériques importés a mis en lumière les vulnérabilités de l’industrie pharmaceutique française, en particulier lors de la pandémie de Covid-19. Consciente de ces défis, la France cherche à renforcer son autonomie par des actions ciblées, alliant relocalisation industrielle, soutien à l’innovation et diversification des approvisionnements.
L’un des premiers axes de cette stratégie repose sur le rapatriement de la production des API et des médicaments essentiels. Depuis plusieurs années, la délocalisation massive de la production d’API vers l’Asie a fragilisé l’industrie pharmaceutique européenne, rendant la France vulnérable aux tensions géopolitiques et aux interruptions de la chaîne d’approvisionnement. Pour inverser cette tendance, le gouvernement français a mis en place un plan de relance ambitieux, avec plus de 600 millions d’euros d’investissements destinés à renforcer la souveraineté pharmaceutique. Cette politique vise à relancer la production de molécules stratégiques sur le territoire national et à inciter les grands laboratoires à privilégier une fabrication locale. Certains sites industriels, comme ceux de Seqens et Sanofi, ont déjà annoncé leur intention de relocaliser certaines productions en France. Toutefois, ce processus est long et coûteux, et il reste à voir si ces mesures suffiront à combler le retard accumulé face à la Chine.
Parallèlement, la France mise sur le soutien à l’innovation et à la recherche pour maintenir son rôle de leader dans le domaine des médicaments de pointe. Contrairement à la Chine, qui excelle dans la fabrication d’API et la production à grande échelle, la France possède un savoir-faire reconnu en matière de biotechnologies, d’immunothérapie et de thérapies avancées. Pour préserver cet avantage, l’État met en place des incitations fiscales et des aides publiques, afin de soutenir la recherche et le développement dans les domaines stratégiques. Le renforcement des collaborations entre laboratoires publics et entreprises privées est également encouragé, avec l’objectif de développer des médicaments innovants capables de concurrencer les avancées chinoises dans le secteur biopharmaceutique.
L’Europe face à la Chine
En complément de ces efforts de relocalisation et d’innovation, la France et l’Union européenne cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement en API et en médicaments génériques. La pandémie a démontré la nécessité de ne plus dépendre uniquement de la Chine pour des produits essentiels. Pour y remédier, la France explore de nouveaux partenariats avec d’autres pays producteurs, notamment l’Inde, les États-Unis et certains pays européens, comme l’Allemagne. L’objectif est de réduire la dépendance aux importations chinoises, tout en maintenant un approvisionnement stable et sécurisé. L’Inde, qui représente déjà une alternative majeure à la Chine pour la production de génériques, pourrait jouer un rôle clé dans cette stratégie, bien que sa propre dépendance aux API chinois reste un facteur de risque.
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Enfin, la France entend renforcer la régulation et les normes de qualité, un domaine où elle bénéficie d’un avantage concurrentiel face aux produits chinois. L’industrie pharmaceutique française est soumise à des exigences réglementaires particulièrement strictes, garantissant une traçabilité et une sécurité des médicaments parmi les plus élevées au monde. En maintenant ces standards élevés, la France peut affirmer son positionnement comme un acteur de confiance face aux médicaments chinois, souvent critiqués pour des problèmes de qualité et de conformité. En parallèle, l’Union européenne travaille à l’adoption de réglementations plus strictes sur l’origine des API, afin d’inciter les laboratoires à privilégier des fournisseurs européens ou certifiés selon des critères de qualité rigoureux.