<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Poutine, l’orgueil retrouvé de la diplomatie russe

23 janvier 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères et Vladimir Poutine lors du Sommet Russie-Afrique à Sotchi le 24 octobre 2019, Auteurs : Mikhail Metzel/TASS/Sipa USA/SIPA, Numéro de reportage : SIPAUSA30187081_000004.
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Poutine, l’orgueil retrouvé de la diplomatie russe

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Lorsque Vladimir Poutine est nommé Premier ministre puis successeur de Boris Eltsine en août et décembre 1999, tout le monde s’accorde pour constater que la Russie n’a plus vraiment les moyens d’une politique étrangère. Vingt ans plus tard, le Kremlin est à nouveau craint, respecté et fantasmé.

Le 24 mars 1999, l’OTAN entame une campagne de bombardement de soixante-dix-huit jours sur les restes de la Yougoslavie, malgré le veto de la Russie à l’ONU. Dans le Caucase, la guerre de Tchétchénie semble perdue et menace de s’étendre à toute la région. Moscou est à l’image de son président qui titube sous le regard hilare de Bill Clinton. Dix ans après l’effondrement du pacte de Varsovie suivie de la disparition de l’URSS, c’est la Fédération de Russie elle-même qui lutte pour sa survie à Grozny. L’alliance atlantique croit pouvoir profiter de ce vide et s’épuise dans de coûteuses et stériles « guerres humanitaires » au Moyen-Orient. Ne sachant pas retirer ses forces, l’OTAN se disperse dans des missions de nation building sans rapport avec des objectifs militaires. La Russie humiliée semble avoir disparu dans son immensité. Les années Gorbatchev et Eltsine forment une éclipse en attendant la fin de l’hiver. Le xxie siècle débute avec le réveil russe, emmené par Vladimir Poutine.

Il faut encore une dizaine d’années de contre-insurrection à Poutine pour régler le cas tchétchène, au prix d’une profonde autonomie concédée par le Kremlin au satrape local Ramzan Kadyrov. En tant qu’ancien patron du KGB, il est le mieux placé pour remettre la machine étatique au service du pays. La verticale du pouvoir réapparaît. « L’affaire Yukos et l’arrestation de Mikhaïl Khodorkovski en 2003 ont montré que l’État pouvait reprendre à tout moment le contrôle des actifs, ou les transférer à d’autres acteurs, plus puissants ou plus proches de lui » note la chercheuse Tatiana Katsoueva-Jean. En 2000, la dette extérieure représentait 61,3 % du produit intérieur brut du pays, elle est aujourd’hui nulle. « Avec son style sobre et tranchant, le président russe s’est imposé sur la scène internationale grâce à une intense activité diplomatique » constate dès 2003 le spécialiste de la Russie, Thomas Gomart, dans la revue Politique étrangère.

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Après la reconstruction, le déploiement

À la fin des années 2000, Poutine peut redéployer ses moyens vers l’extérieur. Il va opérer par cercles concentriques croissants. « Selon son logiciel, l’Union européenne est une espèce de cheval de Troie de l’OTAN, et l’OTAN, c’était l’expansion jusqu’à ses frontières. Pour lui, le deal de 1990 n’a pas été respecté, il n’y avait pas de zone de sécurité » constate Emmanuel Macron à propos de son homologue russe dans un long entretien à The Economist publié en novembre 2019. Il lui faut dans un premier temps sécuriser ce que le Kremlin appelle « l’étranger proche ». L’héritier des tsars et du politburo n’est ni slavophile ni occidentaliste ; il veut restaurer la puissance russe dans toutes les directions à la fois : ouest, est et sud. La Russie n’est pas orientale ou occidentale, elle est les deux à la fois, c’est-à-dire eurasiatique. La perception d’une Russie qui se tournerait au gré des circonstances soit vers l’Asie soit vers l’Europe est trompeuse. La Russie a toujours eu l’ambition de pousser ou repousser simultanément sur tous les fronts.

Serguei Lavrov à la manoeuvre de la diplomatie russe. À côté
de lui, le naufrage de la diplomatie française.

En 2006, l’Europe réalise que la Russie possède un puissant avantage : 30 % des réserves mondiales de gaz porté par un géant du secteur, Gazprom. En Europe centrale, la Russie retrouve de la marge de manœuvre. En 2008, la Géorgie de Saakchvili est stoppée net par une armée modernisée en Ossétie du Sud et en Abkhazie. En 2010, Ioutchenko et Timochenko, égéries de la révolution orange de 2004, laissent la place à l’ancien gouverneur de Donestk, Viktor Ianoukovitch. En 2014, ce dernier est chassé de Kiev par une nouvelle révolution, mais Poutine ordonne en représailles le rattachement de la Crimée et le soutien aux troupes séparatistes du Donbass. Les troupes russes ont conservé leurs positions en Transnistrie, en Arménie et en Biélorussie. Après l’élection de Zelinski en 2019, l’espoir d’une normalisation ukrainienne renaît à Moscou.

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Renouer avec les anciens alliés

Les traditionnels vassaux d’Asie centrale sont domestiqués par une série d’accords économiques et de défense bien que la défunte CEI, devenue UEEA (Union économique eurasiatique) en 2014, ne soit pas parvenue à reformer l’empire russe. Poutine cherche à garder le contrôle de ses marges sans toutefois pouvoir exclure les incursions turques, américaines et surtout chinoises dans la région. Face à la montée rapide de la Chine, la Russie tient à préserver son heartland si besoin en canalisant à son profit le projet de nouvelle conquête de l’ouest de Pékin. Ses « nouvelles routes de la soie » (OBOR) doivent la mener jusqu’en Europe et Moscou veut éviter l’encerclement à travers l’approfondissement de ses relations avec le Japon, l’Inde ou l’Iran. À l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai), elle insiste pour inclure l’Inde et l’Iran dans le tour de table. Elle propose un partage des Kouriles avec Tokyo et travaille à l’élaboration d’une nouvelle route économique qui relierait Saint-Pétersbourg à Bombay en passant par le port iranien de Bandar-Abbas.

Sur le plan théorique, le président russe a un autre avantage vis-à-vis de ses rivaux. Il ne se préoccupe guère de ce que l’on pense de lui à l’international et ne dilue pas ses forces dans l’espérance d’une gestion technocratique ou multilatérale des affaires mondiales. Exclue du G8, la Russie s’en accommode et privilégie les tribunes médiatiques que représentent le G20 et le sommet des BRICS pour se faire entendre. Sa conception des relations internationales repose sur la conviction néowestphalienne qu’elles sont le simple reflet des rapports entre puissances, pour l’essentiel étatique. Poutine privilégie les rapports bilatéraux y compris lorsqu’ils se tiennent à l’occasion de grands sommets. Son opinion publique attend de lui qu’il restaure la grandeur de la Russie. L’évangélisation démocratique et la promotion des droits de l’homme ne sont pas au menu du Kremlin. Dès lors, ses prises de position en Irak, Libye, Syrie, etc. sont teintées d’un réalisme froid, mais efficace. « Il ne cherche pas à remplacer l’influence américaine dans la région, ni même à rivaliser avec elle. Le Kremlin a retenu les leçons historiques d’une “surextension impériale” et n’a pas oublié ce que signifie l’enlisement dans un conflit militaire sans fin » estime le chercheur de l’IFRI, Bobo Lo. Lorsque les printemps arabes éclatent en 2011, c’est le signal de la réémergence russe à l’extérieur de son étranger proche, à commencer par le Moyen-Orient. Elle reprend ses positions traditionnelles en Syrie à Lattaquié et Tartous. Moscou soutient la reprise en main du maréchal Sissi en Égypte, elle appuie les forces du maréchal Haftar en Libye. Elle se redéploie également en Afrique où elle était jadis puissante au temps de la guerre froide. Combinant action clandestine de ses forces spéciales et des sociétés militaires privées, Moscou parle à tout le monde et sait se faire apprécier du continent noir, sans jamais apparaître comme un nouveau colonisateur. À Sotchi, devenue la vitrine de la nouvelle diplomatie russe, les chefs d’État ne sont pas sermonnés sur leur légitimité démocratique. Ils sont reçus avec tous les égards. Autre avantage, la longévité diplomatique inégalée du maître du Kremlin. Sergeï Lavrov est ministre des Affaires étrangères depuis 2004 et Vladimir Poutine était déjà aux affaires du temps de Jacques Chirac, George W. Bush et Gerhard Schröder. De quoi prendre du recul sur les événements.

De là à s’imaginer que l’ogre russe est de retour et que ses chars vont bientôt envahir Varsovie et Budapest, il n’y a qu’un pas que certains commentateurs franchissent allègrement, voyant la main du FSB, de Gazprom et de la chaîne de télévision Russia Today à peu près partout. La diplomatie russe a retrouvé son orgueil. Mais elle a du même coup rendu aux « ultratlantistes » de l’OTAN leur raison de vivre.

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À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.
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