<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Wagnergate, l’audacieuse opération des services ukrainiens pour piéger des mercenaires russes

30 octobre 2023

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Le groupe Wagner en Biélorussie. (c) wikipédia
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Wagnergate, l’audacieuse opération des services ukrainiens pour piéger des mercenaires russes

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L’opération « Avenue », lancée début 2018 par le GUR MOU, était initialement une simple collecte de renseignements. Cependant, à la fin de l’année 2019, à la suite du transfert extrajudiciaire de Russes ayant combattu dans le Donbass et accusés de crimes de guerre, tels que Volodymyr Tsemakh, l’ambition d’un coup de filet avait vu le jour. En 2020, profitant du confinement dû à la pandémie de Covid-19, l’opération s’était transformée en infiltration visant de nombreux mercenaires russes en Russie. Plusieurs scénarios avaient été étudiés, incluant une extraction des cibles vers des pays comme la Hongrie, la Pologne ou les pays baltes, pour une destination finale en Ukraine.

En 2019, le GUR MOU, l’agence de renseignement ukrainienne, avait recueilli des données sur plus de 2 000 anciens mercenaires ayant combattu en Ukraine entre 2014 et 2018. Avec ces informations, l’agence envisagea de créer une fausse compagnie militaire privée (CMP) pour attirer et recruter ces mercenaires. L’objectif principal était de collecter des preuves et potentiellement des aveux de crimes commis en Ukraine. Une autre idée, non confirmée, aurait été de capturer certains mercenaires hors de Russie.

Tentative d’hameçonnage

Pour mener à bien cette opération, une équipe spécialisée avait créé une fausse société militaire privée, nommée « CMP MAR », en utilisant l’identité d’une véritable compagnie militaire privée basée à Saint-Pétersbourg, mais inactive. Le site web de cette entreprise avait été dupliqué pour servir de façade à l’opération.

L’équipe du GUR MOU imagina aussi une fausse mission de protection d’installations pétrolières au Moyen-Orient pour Rosneft, une grande entreprise pétrolière russe. Cette mission fut conçue pour paraître légitime et attirer les mercenaires.

Une première tentative d’hameçonnage sur un site de la mairie de Saint-Pétersbourg échoua, ayant attiré trop de candidats non pertinents pour les services ukrainiens.

En avril 2020, un ex-membre du SBU spécialisé en contre-espionnage fut nommé à la tête de l’opération « Projet Avenue », ultérieurement nommée « Wagnergate » dans les médias. Cet officier, formé en sécurité, avait ajouté une approche proactive à l’opération.

Un acteur clé du piège fut « Sergei Petrovitch ». Le personnage mena des entrevues avec des candidats potentiels, jouant le rôle de recruteur et de « kurator » (organisateur). Après des entretiens et une fine analyse des documents audio, Bellingcat l’a identifié comme élément central de l’opération.

Mission de recrutement

Sa mission était d’identifier des candidats pouvant aider à recruter d’autres individus d’intérêt. « Petrovitch » utilisa un téléphone spécial non traçable, simulant un identifiant d’appel syrien pour renforcer sa couverture.

Un candidat, Artyom Milyaev, se révéla très utile. Ayant servi en Tchétchénie, dans le Donbass et en Syrie, il avait mentionné avoir dirigé une brigade d’assaut et proposait de recruter parmi ses anciens subordonnés. Connu sous le surnom « Chaman », en avril 2020, « Petrovitch » l’avait recontacté pour évaluer combien de ses anciens hommes pourraient être recrutés. Milyaev avait révélé que beaucoup s’étaient engagés maintenant avec « les Musiciens », une allusion au groupe Wagner, mais qu’il en connaissait plusieurs disponibles.

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L’équipe du GUR MOU avait pu déléguer le recrutement à « Chaman », menant à une avalanche de candidatures pour la fausse CMP, avec de nombreux candidats dévoilant des informations sensibles. Beaucoup donnèrent des détails sur leur rôle dans divers conflits soutenus par la Russie. De plus, le GUR MOU avait identifié que certains candidats étaient recherchés pour des crimes présumés.

Avec l’augmentation des recrutements, des tensions apparurent entre les mercenaires au sujet des postes et des salaires. Beaucoup étaient impatients de rencontrer en personne les dirigeants de la fausse CMP. La pandémie de Covid-19 fournit une excuse pour repousser ces rencontres.

Les services ukrainiens décidèrent de changer de contact, « tuant » fictivement « Petrovitch » pour le remplacer par « Arthur Pavlovitch ». Rassurés, les mercenaires attendaient leurs contrats.

Et le piège se referme

Le GUR MOU élabora un plan pour faire entrer les employés de la CMP MAR en Ukraine. Trois ex-membres de l’opération interrogés par Bellingcat déclarèrent plus tard que le plan avait été approuvé par le gouvernement ukrainien début juillet 2020. Il prévoyait l’arrestation et la détention de 33 mercenaires après une simulation d’atterrissage forcé en Ukraine à la suite d’une alerte à la bombe dans l’avion, motif légal pour obliger l’atterrissage d’un avion, pendant un trajet Minsk-Istanbul vers une fausse mission. Le départ de Minsk avait été choisi à la fois en raison des restrictions de vol en Russie pendant la pandémie et de sa position stratégique.

Tout semblait fonctionner lorsque le bus avec les mercenaires franchit la frontière russo-bélarusse le 25 juillet. Une décision de dernière minute repoussa l’opération. Un nouveau départ pour la Turquie fut prévu pour le 30 juillet. Entretemps, ils séjournèrent dans des hôtels à Minsk. Mais à l’aube de leur avant-dernier jour à Minsk, les forces spéciales bélarusses intervinrent, arrêtant les mercenaires et faisant échouer l’opération ukrainienne. Le président biélorusse accusa la Russie d’envoyer ce qu’il considérait comme des forces de Wagner pour déstabiliser le pays en pleine période électorale. En réalité, c’étaient les mercenaires piégés. Peu de temps après, le FSB russe découvrit le plan audacieux des Ukrainiens et réussit à rapatrier ses ressortissants.

Retrouvez l’intégralité du récit et des éléments sur Bellingcat.

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